Le train de la mort
malades, des comateux, mais pas encore de morts, mais nous comprimes que dans les autres wagons, les choses ne s’étaient pas passées de la même manière.
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* *
— Oui cliv j’ai eu beaucoup de chance de me trouver avec Weil. Je me souviens surtout de cet arrêt à Reims, de ces cris horribles qui venaient des wagons voisins. Un brave homme, près de moi, divaguait. Il priait, puis jurait. Il priait encore et terminait ses litanies par des invectives à l’adresse de Dieu et de tous les saints du Paradis. Il était si épuisé qu’il ne pouvait plus bouger. Sa tête appuyée contre la paroi du wagon, cherchait vraiment un souffle d’air qui n’arrivait pas.
15 h 55 – Reims gare (wagon Fully-Thomas).
— La bagarre clv devenait de plus en plus intense et de plus en plus farouche. Je ne voyais pas d’issue possible. Nous y passerions tous. J’aurais voulu pleurer, je ne le pouvais pas, je pensais à tous les êtres qui m’étaient chers, je les appelais à haute voix par leur nom. Ils ne sauraient jamais dans quelles circonstances je serais mort. Ils ne se consoleraient jamais. Ces sentiments m’assaillirent et me rendaient fou. Je ne voyais plus rien, je ne me rendais compte de rien, J’attendais calmement le coup qui m’achèverait.
— Nous frappions clvi aux parois demandant de l’eau et de l’aide. Au bout d’une demi-heure, on nous ouvrit la porte. Le grand souffle d’air nous ranimait déjà. Les Allemands demandèrent que l’on sortît les trois ou quatre malades. Tous levèrent la main voulant sortir. Les Allemands refermèrent la porte ; ils n’avaient autorisé que trois ou quatre malades… Un jeune Hollandais que j’avais connu à Compiègne continuait à frapper la paroi à coups de poing et de souliers et réclamait à boire. « Bitte posten – Wasser, Wasser zu trinken. » Sa lamentation revenait sans cesse lancinante, régulière et lugubre comme un glas, coupée parfois d’une exclamation jaillie d’une bouche à l’intérieur du wagon, « la ferme », « ta gueule » ou le cri rauque d’un SS : « Ruhe Seine Maule » Mais il geignait toujours dans le délire qui s’emparait de lui. Un Allemand menaça de tirer dans le wagon pour le faire taire. Épuisé, enfin, il se tut.
16 h 15 – Reims gare.
Sur le quai n° 3, les docteurs Bouvier et Chatelin pratiquent la respiration artificielle sur une quinzaine de déportés. Le brigadier André Dubois, tenant son brancard, demande s’il peut charger d’autres cadavres.
— Inutile, répond un capitaine de la garnison de Reims.
— Mais…
— Inutile !
Dubois dépose son brancard :
— Alors je peux au moins distribuer des canettes ?
— Si vous voulez !
16 h 35 – Reims gare.
Le chef de gare allemand et le capitaine de la garnison de Reims grimpent sur le marchepied du tracteur de manœuvre qu’ils font diriger sur une voie de garage, à deux cents mètres du quai n° 3. La voie de garage est en tranchée.
Prostré sur un banc, devant la porte du standard, l’officier S.D. responsable du convoi attend les communications téléphoniques qu’il vient de réclamer.
Pour la première fois, la Croix-Rouge est « neutralisée » par un cordon de gardes.
16 h 35 – 20 heures – Reims, voie de garage
(wagon Helluy-Aubert-Villiers).
— Ce nouveau clvii stationnement prolongé aggrava encore la situation dans chaque wagon du convoi, particulièrement le nôtre, où nettement le climat se détériorait rapidement car ce n’était plus possible de tenir. C’est à ce moment que Georges Villiers, qui se prodiguait pour aider et soulager ses voisins, et qui se trouvait à l’autre extrémité du wagon où le nombre des malades était assez inquiétant et en augmentation dangereuse depuis l’arrêt du train, interpella par la lucarne, un officier, lui demandant en allemand de l’aide et de l’eau pour nos malades. Ce dernier lui répondit à peu près ceci :
— Vous êtes des Résistants, vous savez résister.
Georges Villiers lui rétorqua alors d’un ton d’une rare violence, en y mettant tout le mépris et la haine dont il se sentait capable :
— Vous les Allemands, vous n’êtes que des sauvages !
Quand la traduction de cet échange verbal fut faite, tous les camarades, qui en avaient encore la force, se mirent à hurler en allemand le mot « sauvages ».
C’est à Reims que nous épuisâmes notre réserve d’eau, en soignant nos pauvres
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