Le train de la mort
lutte commune qui était leur force essentielle.
Il avait d’abord fallu mettre à la raison quelques malheureux n’ayant aucun rapport avec la Résistance (des raflés, voire des condamnés de droit commun) qui non seulement s’accommodaient mal de la discipline mais prétendaient eux aussi faire une ouverture dans le wagon avec un matériel à eux, sans tenir compte ni de nous ni des précautions élémentaires à prendre pour ne pas alerter les SS.
Vint ensuite le travail d’exécution par l’équipe chargée de pratiquer l’ouverture… Il n’était pas facile… d’autant moins qu’il devait se réaliser en évitant les bruits trop suspects et se faire tout en maintenant l’ordre, en soignant les malades, en remontant le moral des plus exténués, en surveillant la distribution de l’eau, en veillant à se débarrasser au fur et à mesure des excréments… Et déjà, nous sentions à certains moments cette odeur pestilentielle dont nous ne connaissions pas encore l’origine.
Témoignage Georges Villiers.
La chaleur était vite devenue insupportable et le manque d’air se faisait de plus en plus cruellement sentir. Les camarades qui s’étaient groupés autour de nous nous ont heureusement aidés et nous avons pu imposer une translation continue des détenus avec passage de chacun devant une petite ouverture que nous avions pu pratiquer dans une paroi.
Chacun à son tour pouvait ainsi venir respirer un peu d’air frais. Mais nous étions cent et le tour venait trop lentement. Des disputes et des cris se firent entendre. Des couteaux sortirent des poches indiquant pour certains une crise proche de la folie. Il fallut les maîtriser et pour certains les assommer pour les rendre inoffensifs.
Heureusement le temps passait et la journée particulièrement brûlante se terminait.
Le calme revint avec la fraîcheur et nous pûmes alors nous occuper de la fuite.
Une vingtaine de camarades se déclarèrent prêts à tenter l’aventure qui paraissait possible, nous étions encore en France et le train roulait à faible allure.
Mais alors des cris s’élevèrent et certains, nous traitant de fous, nous déclarèrent qu’ils ne voulaient pas partir, et que nous allions les faire punir, alors qu’ils ne savaient pas pourquoi ils avaient été arrêtés, et que les Allemands reconnaîtraient finalement leur innocence.
Nouvelle bagarre pendant qu’à tour de rôle nous nous employons à pratiquer l’ouverture.
Le docteur X est le premier à passer la tête et les épaules hors du wagon. Je suis derrière lui avec un délégué cégétiste de la région lyonnaise…
Témoignage Jean-Baptiste Perreolaz.
Notre panneau pratiquement découpé ne tient plus que par les points laissés à dessein pour son équilibre. De longs conciliabules s’engagent ; ils durent très longtemps. Il faut déterminer une discrimination entre ceux qui veulent partir et ceux, les plus nombreux, qui veulent rester… De toute manière, dans mon groupe, nous ne nous mêlons pas à ces discussions stériles où, bien souvent, les arguments avancés ne sont que des excuses bassement égoïstes, nous les jeunes nous avons décidé de sauter… et rien ne nous empêchera de le faire. Tout le reste, ce sont des parlotes du Café du Commerce !
Mais le ton, avec l’heure qui s’avance, monte et s’échauffe, notamment à l’autre extrémité du wagon, une violente opposition se développe contre la tentative qui va être faite dans les heures qui viennent : « Inutile et très dangereuse aussi bien pour les participants que pour les autres ! Ce n’est pas la peine d’avoir échappé à l’asphyxie, pour que quelques-uns par un acte délibéré provoquent la mort de tous. » C’est l’argument le plus développé, par les peureux, minoritaires, mais redevenus particulièrement actifs depuis que la chaleur ne nous accable plus et ils profèrent alors une menace précise, dont personne ne veut tenir compte :
— Nous alerterons le wagon des SS si vous mettez votre tentative de fous à exécution !
Tous pensent qu’ils ne commettront pas une telle vilenie, c’est une menace gratuite tout au plus ! La décision est prise, une vingtaine d’hommes sauteront et après d’autres si cela est possible.
Le train, attaquant une pente, ralentit nettement et nous décidons de passer à l’action immédiatement. Les « menuisiers » qui seront les premiers à sauter terminent l’opération de décollage du
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