Le train de la mort
et de l’opération. Le temps passe. Le jour pointe. Je donne l’ordre d’enfoncer le panneau : réalisé en même temps que le train s’arrête.
Témoignage Édouard Aubert.
— Je suis certain que, comme moi et d’autres survivants, Georges Villiers, devenu à son retour de déportation président du Comité national du Patronat français, tout comme je devins Secrétaire général de la Fédération C.G.T. des travailleurs du Textile, n’a pas oublié ces heures hallucinantes vécues ensemble… Je suis sûr qu’il se souvient de ces hommes, communistes et gaullistes mêlés, qui, aguerris par l’expérience de la lutte clandestine, surent organiser et faire respecter la discipline qui finalement devait sauver la vie de tous au cours de ce terrible voyage.
Par chance les deux petites lucarnes de notre wagon étaient ouvertes… Lui aussi comme chacun de nous fut hissé à bout de bras et à son tour à l’une de ces lucarnes pour y respirer l’air pendant quelques instants avant de reprendre sa place assis par terre, dans l’ordre établi et imposé non sans mal afin d’éviter la bousculade et les mouvements inutiles. Dès la première nuit nous avions utilisé cette méthode : « La manœuvre de minuit », avait dit l’un de nous en riant tant il est vrai que, dans les circonstances les plus tragiques, il y a toujours un homme pour trouver le mot drôle qui apaise, réconforte, exprime et nourrit la confiance, affirme la vie.
Lui aussi, comme nous tous, reçut sa part d’eau ; ces quelques gorgées distribuées périodiquement à chacun, à tour de rôle et dans l’ordre, sous le contrôle de la petite équipe chargée de veiller sur le tonneau et dont le responsable était l’ouvrier communiste André Morcel cxcix , autre militant du syndicat C. G. T. des travailleurs du Textile de Lyon… Un de ceux qui avaient été frappés par la répression patronale au lendemain de la grève générale de novembre 1938.
Enfin, de notre tentative d’évasion, certains détails restent particulièrement vivaces dans notre mémoire… Ils sont pleins d’enseignements, me semble-t-il… Si lors du rassemblement pour le départ, la Résistance organisée du camp n’avait pu me remettre, comme elle en avait décidé, le matériel pouvant permettre éventuellement de tenter l’évasion en cours de route : petites scies à bois et à métaux, pinces, tenailles, tournevis, marteau, etc. par contre d’autres Résistants avaient pu recevoir un matériel à peu près analogue et, parmi ceux-là le docteur Helluy avec lequel nous devions nous retrouver dans le même wagon. Je ne connaissais pas le docteur Helluy, ni les camarades qui l’entouraient, mais aussitôt des contacts s’établirent entre nous : nous nous étions vite reconnus comme des combattants d’une même cause, animés d’un même esprit. C’est donc ensemble que, dès la première heure, nous avons aidé à instaurer la discipline et avons conjugué nos efforts pour la maintenir ; ensemble aussi qu’un peu plus tard nous avons envisagé de tenter l’évasion.
Sur ce dernier point, il faut le dire, nous dûmes discuter longuement sur la tactique à adopter, des dispositions et précautions à prendre pour pratiquer une ouverture et enfin de l’ordre dans lequel, l’ouverture étant pratiquée, nous devions envisager l’ordre des départs. C’était là une chose capitale. Il n’était pas pensable, en effet, que d’un wagon accroché juste derrière celui des SS qui, la nuit, balayaient fréquemment le convoi avec leurs projecteurs, tous les hommes allaient pouvoir, comme ça, tranquillement, au moment propice et les uns après les autres jusqu’au dernier, se laisser glisser sur la voie ou rouler sur le ballast sans attirer l’attention de l’ennemi. Dans le meilleur des cas, seuls les premiers avaient une chance, ce dont tout le monde convenait. Seulement qui désigner comme premier, comme second, comme troisième et ainsi de suite ? Une certaine logique voulait que les premiers fussent ceux ayant eu le plus de responsabilités dans Ja Résistance… Mais comment, d’une part, faire ce choix et comment, d’autre part, le faire admettre, dans de telles circonstances, dans de telles conditions.
Sans doute le docteur Helluy se souvient-il également de cette discussion tragique… Sans que jamais pour autant, et je tiens à le souligner, gaullistes et communistes ne se départissent de cet esprit d’union dans la
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