Le train de la mort
panneau, se trouvant au ras du plancher, à égale distance entre la porte et le fond du wagon, côté droit, sens de la marche. Chaque partant termine ses préparatifs, serre les dernières mains, écoute les dernières recommandations, quand soudain, alors que le calme semblait régner parmi nous, une très violente dispute, suivie de coups, éclate entre les « opposants » qui parviennent à prendre le dessus et ceux chargés de les maîtriser. Un semblant de panique s’empare du coin du wagon. En quelques secondes des cris et des hurlements se font entendre. Étant donné les préparatifs en cours, la riposte ne peut se faire immédiatement ; les opposants crient de plus en plus fort, tapent contre les parois, font un vacarme épouvantable, hurlent à l’intention du wagon SS tout proche, le mot « évasion », « évasion » cc .
PREMIÈRE NUIT. LE RESTE DU CONVOI.
Wagon Rohmer.
Je reviens cci à moi… Le professeur Vlès portait au poignet une montre en or qu’il avait recouverte àCompiègne d’un morceau de couverture pour ne pas tenter les… envieux. Je la dégrafe ccii . Peupion fait l’appel. Nous ne sommes plus que vingt-quatre à répondre.
Nous allons nous étendre ; je n’en puis plus, je m’endors immédiatement. Pendant toute la nuit, Rollot m’empêchera de glisser entre les cadavres et de m’y étouffer contre eux. La fraîcheur de la nuit est douce. Nous dormons sur les cadavres tout chauds…
Au milieu de la nuit, certains tentent une évasion. Ils arrivent à casser quelques barbelés de la lucarne, mais ils ne peuvent se hisser jusqu’à elle. Nous sommes tous épuisés.
Le jour se lève. Le sommeil nous a redonné quelques forces. Nous décidons d’accumuler tous les morts dans une moitié du wagon. Le travail est infernal. En tombant, les cadavres se sont enchevêtrés, et en les tirant des lambeaux de chair se décollent. Les cadavres sont encore chauds et, malgré tout, ils sont déjà raides. Le tas s’élève il atteint presque le plafond ; à plusieurs reprises, nous nous arrêtons, épuisés, découragés. La vue de ces cadavres donne la nausée, la fatigue et l’odeur pestilentielle nous font vomir. Enfin, tous sont empilés, Nous les recouvrons de leurs effets et de leurs couvertures. L’odeur est nauséabonde.
Combien de temps allons-nous rester dans ce cercueil roulant ? En attendant, nous nous allongeons par terre, recherchant les interstices du plancher, le nez contre les fentes pour mieux respirer.
Wagon Lambert.
Certains cciii de nos compagnons, au courage admirable, arrivent encore à remonter le moral de leurs camarades en leur faisant comprendre que, si le train ne va pas plus vite, c’est grâce aux destructions massives faites par la R.A.F. Certains trouvent encore la force de raconter des blagues.
Je souris en entendant un de nos compagnons se plaindre à un ami niortais :
— Pourquoi m’a-t-on arrêté ? Je n’ai absolument rien fait contre les Allemands ; je ne me suis jamais mêlé à la Résistance.
Avec une expression pleine de bonté, mon ami lui répond qu’il aurait mieux fait d’avoir une certaine activité patriotique ; au moins il saurait pourquoi il est là. Logique des choses, consolation de ceux qui, connaissant l’enjeu et les risques terribles de la Résistance, n’ont pas craint de se joindre avec enthousiasme à l’effort commun.
Wagon de 80.
— Il y avait cciv un gars rondouillard qui, dans notre coin, à la surprise générale, se réveilla brusquement à la fin d’un rêve érotico-éjaculatoire…
— Pendant ccv cette nuit, j’ai soutenu à la lucarne Marc Soulier, un marchand de vins du Mans. Il me dit : « Petit, tu es commis coiffeur à Tulle, eh bien tu m’as sauvé la vie, au retour je t’achète et je t’installe un magnifique salon. »
Paulin Tessiot et Antoine Vesir parlent de la Martinique. Un gendarme à genoux prie. Toujours assis sur sa tinette, Chapalain somnole.
Wagon Fully-Thomas.
— Je respirais ccvi mieux, l’air devenait plus frais. Je m’examinais, je me tâtais, je n’arrivais pas à croire que j’étais vivant, que ce cauchemar était fini. J’avais quelques égratignures sur la poitrine, ma montre était en pièces, mon pantalon en loques… C’est tout. Mais moi je vivais encore. Et pourtant, je ne rêvais pas…
— Nous nous comptons maintenant : « Un, deux, trois… nous disons chacun un chiffre les uns après les autres… huit, neuf,
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