Le tresor de l'indomptable
était fort improbable, vous auriez pu inventer une bonne raison et vous en sortir par des mensonges, mais la chance vous a souri. Paulents et sa suite voulaient se reposer, Castledene s’en aller et Wendover réfléchir à ses soucis.
— Si, comme vous le dites, j’ai surgi, pourquoi n’a-t-on pas donné l’alarme ?
— Parce que Paulents vous considérait comme un ami : l’affable médecin qui ne portait point d’arme. Vous avez trouvé quelque prétexte expliquant qu’on vous avait autorisé à revenir au manoir. Ils ont sans doute pensé que Wendover vous avait laissé passer. Vous avez forgé une histoire, peut-être que le maire vous avait remis une clé de telle ou telle poterne. Vous étiez le médecin bienveillant, le proche de Castledene : au nom de quoi vous auraient-ils suspecté ? Vous aviez toute la nuit devant vous. Vous leur avez assuré que tout allait bien ; ils se sont détendus et c’est alors que vous avez mélangé un opiat à leur vin. Pendant qu’ils buvaient, vous avez attiré Servinus hors de la pièce sous un motif quelconque. Ayant appris, en devisant plus tôt avec eux, que Servinus ne buvait point d’alcool, vous l’avez donc occis sur-le-champ d’un carreau d’arbalète en pleine poitrine. Vous avez étendu le corps en le tournant de façon que le sang ne souille pas le sol, et en étanchant avec des guenilles. Quand vous êtes revenu dans la grand-salle, Paulents et sa famille dormaient. Vous disposiez de la corde ; il ne s’agissait plus que de tirer vos malheureuses victimes vers les crochets de fer, de leur passer un noeud autour du cou et de les hisser. Vous êtes fort, Hubert ; ils ont tous fini par pendre comme des cadavres à une potence. Ils n’ont onc repris conscience, glissant du sommeil à la mort – Corbett claqua des doigts – comme ça ! Servinus était un tout autre problème. Vous deviez prendre garde au temps qui passait. Vous n’ignoriez pas que je venais à Cantorbéry. Castledene vous l’avait dit. Il vous fallait agir vite, puis vous et Lechlade deviez partir. Vous avez éventré Servinus pour que les vapeurs infectes s’échappent et ainsi atténuer l’odeur de putréfaction, et vous avez bourré la blessure d’autres linges et serviettes.
— Je suis donc si versé en médecine, en humeurs corporelles ?
— Certainement, Maître Hubert. Vous êtes très intelligent, très adroit. Je parie que vous en savez autant sur l’art de guérir que sur la façon de tuer ! Vous avez lu moult livres, entre autres la pharmacopée des Anciens. Vous êtes sans doute plus savant que bien des médecins ; vous l’avez démontré en soignant l’ulcère de Chanson. Après tout, votre savoir-faire en médecine et en diplomatie vous a gagné le patronage de Castledene et des autres.
— Et qu’ai-je donc fait du cadavre de Servinus ?
Corbett relâcha sa prise sur l’arbalète. Hubert attendait qu’il se fatigue.
— Vous l’avez traîné dans la cave, avez ôté le couvercle d’un tonneau de bière que vous avez vidé en partie avant d’y descendre le corps. Puis vous avez rebouché le cuveau. Vous avez veillé à ce qu’il n’y ait point de taches de sang. Je vous imagine, muni d’une chandelle, examinant le sol et essuyant toute trace de violence. Ensuite, vous avez regagné la grand-salle. Vous avez vidé toutes les coupes de vin, les avez lavées et remplies, de vin non altéré cette fois. Vous aviez achevé votre travail. Servinus et Paulents avaient trépassé. Vous vous étiez vengé. Vous vous êtes alors rendu dans la chambre du marchand, emparé de la nouvelle copie de la Carte du Cloître et l’avez remplacée par un autre morceau de parchemin qui n’était qu’un fatras de calembredaines.
— Et comment ai-je pu m’échapper ? s’enquit le prisonnier assis sur son tabouret en bougeant la tête pour soulager la tension de sa nuque.
— Oh, cela vous fut facile, Hubert, vous le chasseur d’hommes, l’assassin confirmé ! Vous aviez la chape du garde que vous aviez dérobée quelque part. Wendover a fait irruption dans la maison ; les gens couraient en tous sens, en criant le mot de passe. Vous n’étiez qu’une silhouette de plus qui s’agitait. Personne n’aurait pensé à arrêter un garde de l’échevinage pendant ce tumulte. Je m’interroge pourtant sur le meurtre d’Oseric à Sweetmead Manor. Avait-il remarqué quelque chose d’anormal ? L’avez-vous occis, ou est-ce Lechlade, sur
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