Le tresor de l'indomptable
remarque énigmatique, s’étonnait du manque de foi des habitants. Vous en souvenez-vous ?
— Médecin, soigne-toi toi-même.
— C’est exact. Berengaria, peu érudite en Évangiles, avait pourtant l’esprit assez vif pour comprendre qu’une telle phrase pouvait aussi vous être appliquée à vous, Maître Hubert, et à ce qui s’était vraiment passé en ce fatal après-midi. Est-ce cela qu’elle vous a chuchoté à Sweetmead ? « Médecin, soigne-toi toi-même » ? Cela explique pourquoi elle a griffonné le mot « Nazareth » sur le mur de sa chambre, en guise d’aide, d’aiguillon à sa mémoire.
— Mais j’étais avec le père Warfeld quand elle a été abattue.
— Oh oui, reconnut Corbett. Vous vous préoccupiez des âmes de vos parents. Avez-vous choisi le nom de Desroches non seulement à cause de l’ermitage abandonné, mais aussi parce qu’il n’existait plus aucun membre vivant appartenant à cette famille à Cantorbéry susceptible de vous contredire ?
— J’étais avec le père Warfeld !
— Mais Lechlade n’y était point. La plupart du temps, il jouait les imbéciles avinés. Cependant, quand je l’ai interrogé à Sweetmead, mes premiers soupçons ont été éveillés. Lechlade s’est penché par-dessus la table. Son haleine sentait le ragoût cuisiné par Ranulf, mais pas la bière, et pourtant il faisait comme s’il avait été ivre. Le matin de la mort de Berengaria, vous avez distrait l’attention du père Warfeld en l’emmenant dehors. Lechlade vous suivait. Lady Adelicia le méprisait. Elle ne se souciait pas de ses allées et venues, de savoir s’il entrait ou sortait de Sweetmead. Les sentinelles devant le manoir étaient là pour surveiller la dame de la maison et non son ivrogne de valet. Ce matin-là, Lechlade s’est donc faufilé dans St Alphege et Berengaria a été promptement garrottée et rendue à jamais muette.
« Deux tueurs devaient être impliqués. Vous en avez usé pour vous protéger. Quand Berengaria a été tuée, vous étiez en compagnie du prêtre. Quand on a trouvé Sir Rauf Decontet, Lechlade dormait et vous ne pouviez, par conséquent, passer par des portes closes. Personne ne pouvait vous soupçonner, d’autant moins que vous aviez envoyé quérir le père Warfeld afin qu’il vous serve de témoin. Il en va de même pour les autres agressions. Lors de mon trajet de Maubisson vers St Augustin, un meurtrier inconnu a lâché des carreaux d’arbalète sur nous depuis le couvert des arbres. Comment aurais-je pu suspecter le médecin Desroches ? Il était avec moi. Ce devait être quelqu’un d’autre. En fait, il s’agissait de Lechlade, qui était aussi responsable de la flèche d’avertissement tirée dans le volet de ma chambre alors que vous quittiez l’abbaye. Assez bizarrement, par pure coïncidence, vous vous trouviez avec Ranulf et Chanson dans le réfectoire quand je suis monté dans ma chambre. Si Dieu et le maître hôtelier n’étaient pas intervenus, j’aurais bu le vin empoisonné que, sans nul doute, Lechlade avait déposé sur le palier. Vous avez voulu à toute force venir avec nous en rentrant de Sweetmead. Lechlade est parti devant en catimini préparer la boisson toxique, mais ce fut une tâche précipitée. Ne pouvant employer les pichets des cuisines de l’abbaye, il s’est servi des siens et, bien sûr, l’hôtelier connaît précisément ceux qui lui appartiennent et fait la différence avec les autres.
Corbett s’interrompit.
— Il en alla de même quand je fus attaqué dans le cloître. Vous et le père Warfeld vous trouviez à l’abbaye. Notre prêtre y avait à faire, et vous aussi : vous aviez appris que Lady Adelicia était grosse, nouvelle que vous avez décidé d’exploiter. Vous avez tenu compagnie à Ranulf et Chanson, le prêtre est allé vaquer à ses tâches, alors, qui rôdait dans le bâtiment en attendant que je sorte de l’église abbatiale après vêpres ?
Le magistrat regarda cet homme qui, avec tant de ténacité, s’était acharné contre lui.
— Eh bien, Maître Lechlade, votre complice silencieux et furtif.
Corbett prit une profonde inspiration.
— En fait, il m’est revenu que, chaque fois qu’il se passait quelque chose, vous étiez la seule personne à pouvoir justifier de ses déplacements, que ce soit pour l’attaque dans les bois, le carreau lâché dans mes volets, le vin empoisonné, le trépas de Decontet, le meurtre de Berengaria ou
Weitere Kostenlose Bücher