Le tresor de l'indomptable
rencontre avec le roi saxon. Il nota avec amusement la façon dont l’artiste, sur les trois panneaux, avait peint Augustin comme auréolé d’un halo doré alors que ses ennemis, le souverain saxon et son entourage, étaient cachés dans un nuage d’ombre. Il se leva et s’étira pour soulager ses jambes et ses bras courbaturés. Négligeant le gobelet de vin chaud et épicé qui se trouvait sur la table, il baissa les yeux sur le parchemin pris dans la cassette de Paulents. En réalité, il était incapable de le déchiffrer. Il avait d’abord cru que ce serait chose facile. À présent, un vague soupçon lui taraudait l’esprit : tout cela n’était-il pas qu’un fatras de sottises ? Mais, dans ce cas, pourquoi Paulents l’avait-il emporté ? Pour ce qu’il en pouvait juger, la prétendue Carte du Cloître était aussi absurde que les jacassements d’un niais. Ou n’était-ce là que le sentiment d’être tenu en échec ? Il avait utilisé son propre livre de codes, déplacé les lettres griffonnées sur ce morceau de vélin, mais sans aucun résultat. Seul un mot, parfois, avait un sens.
Il s’était en fin de compte distrait en écrivant à Maeve, avait exprimé son amour et sa tendresse envers elle et les enfants et s’était concentré sur le quotidien de leur existence : ce qu’il fallait faire de la grande prairie de Leighton, les droits du manoir au bénéfice de l’église locale, ses droits, en tant que seigneur, d’essart et d’empiétement. Il confiait la plupart de ces affaires à Maeve, qui s’intéressait aux lois complexes concernant la propriété. C’était pour elle un véritable plaisir que d’argumenter avec son mandataire, Maître Osbert, leur intrépide avocat, sur le paiement des redevances ou sur la vraie signification du terme « essart ». Quand Corbett eut scellé sa missive, il s’occupa des lettres qu’il avait reçues de Westminster. La première avait été envoyée sous sceau privé. La seconde venait du prieur de l’abbaye de Westminster, William de Huntingdon. Le message royal, rédigé en hâte, sans doute par Édouard en personne, fournissait des détails sur la tutelle de Lady Adelicia et précisait qu’elle avait été accordée à Sir Rauf Decontet sur l’ordre de Walter Castledene. Les deux hommes avaient été collègues et camarades jadis et s’étaient montrés loyaux sujets de la Couronne. Ce qui signifiait, traduisit le magistrat, cynique, qu’ils avaient prêté à l’Échiquier des sommes d’argent considérables. Corbett avait demandé ces renseignements avant de quitter Westminster. Il s’étonnait que Sir Walter n’ait pas évoqué plus avant ses liens avec Decontet, et il se demanda si Castledene était l’homme ad hoc pour siéger en tant que juge d’Oyer et Terminer dans cette affaire. Le souverain avait volontiers fait part de cette information. Corbett imaginait sans mal Édouard, cheveux gris fer encadrant un visage de faucon, paupière droite tombante, lèvres plissées, debout dans une pièce de la Chancellerie, frappant la jonchée du pied et dictant la lettre. Puis, écartant le malheureux scribe, il avait ajouté quelques mots de sa main, un post-scriptum au sujet de son précieux gerfaut blanc comme neige, malade en ce moment dans les volières royales. Il rappelait à Corbett qu’il devait prier devant le tombeau de Becket afin que l’oiseau recouvre la santé.
— Par Dieu, j’aurais aimé avoir davantage de renseignements sur Castledene et Decontet, murmura le magistrat.
La missive à la main, il tapota la table. C’était une autre question qu’il espérait aborder avec Sir Walter quand ils se rencontreraient le lendemain. En fait, bien que Corbett n’ait pas progressé dans le décodage, il avait arrêté la façon dont il traiterait ces affaires. Jusqu’ici, il s’était contenté de tâtonner, agissant d’après les dires des autres ou ce qu’il avait observé : cela devait cesser. Il déroula à nouveau le courrier royal et examina les derniers mots : « Dieu vous benoit, par la main du Roi. » Les lettres en anglo-normand étaient mal formées, mais le souverain ne lui voulait que du bien et assurait à son clerc principal qu’il jouissait toujours des bonnes grâces et de l’affection de son royal maître.
La seconde épître, celle de l’abbé de Westminster, était brève et succincte. Le frère Hubert de Cantorbéry avait quitté leur communauté au début de l’été 1293.
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