Le trésor
Cagliostro en qui sa piété profonde voyait un suppôt de Satan en dépit du bien indéniable qu’il semait continuellement sur son passage. Qu’il fùt impliqué à tort dans ce procès où il n’avait rien à faire et où, seule, la haine de Mme de La Motte l’avait entraîné, ne changeait rien à ces sentiments même si Gilles savait bien qu’ils étaient injustes.
Le sorcier de la rue Saint-Claude n’inspirait d’ailleurs aucunement la pitié. Son entrée fut une réussite théâtrale. Vêtu d’un superbe habit de taffetas vert brodé d’or, coiffé bizarrement en petites tresses qui lui tombaient sur les épaules, il dégageait une extraordinaire atmosphère d’irréalité qui imprégna instantanément la salle.
— Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? demanda le président d’Aligre.
Les magnifiques yeux noirs, insondables et étincelants du mage se posèrent, ironiques et calmes, sur l’homme en robe rouge.
— Je suis un noble voyageur, dit-il. Il m’est arrivé de voyager sous différents noms. Je me suis appelé successivement le comte Harat, le comte de Fénix, le marquis d’Anna mais le nom sous lequel je suis le plus généralement connu en Europe est celui de comte de Cagliostro. Sachez que j’ai toujours eu du plaisir à ne point satisfaire là-dessus la curiosité du public malgré tout ce qu’on a dit de moi lorsque l’on a débité que j’étais l’homme de 1 400 ans, le Juif errant, l’Antéchrist, le Philosophe inconnu, enfin toutes les horreurs que la malice des méchants pouvait inventer. Mais si, depuis mon séjour en France, j’ai offensé une seule personne, qu’elle se lève et rende témoignage contre moi…
Cessant, à cet instant, de regarder le président, Cagliostro se tourna et, lentement laissa son regard planer sur le cercle de visages qui l’environnait. Et soudain, ce regard s’arrêta, accrocha celui de Gilles. À l’éclair qui y brilla, le jeune homme comprit qu’il était reconnu et qu’aucun déguisement, si bien fait soit-il, ne pouvait tromper Cagliostro. Il y lut aussi une sorte de défi amusé. Il avait eu à se plaindre de cet homme qui l’avait tenu, si longtemps, écarté de celle qu’il aimait et qui s’en était servi pour manifestations impies. Mais outre qu’il était impossible au pseudo-défunt de se manifester aussi hautement, il découvrait avec étonnement que sa rancune s’effritait, se dissolvait sous l’éclat de ce regard comme une lave dans le cœur d’un volcan. Il eut soudain la certitude que le mage avait agi, presque toujours, avec de bonnes intentions et que, s’il avait un temps suivi les vues du comte de Provence, ce n’était certes pas pour l’aider à s’assurer le trône mais dans un but plus grand et infiniment plus difficile à atteindre et qui était peut-être le bonheur d’un peuple.
Cette idée bizarre lui vint tandis qu’il écoutait le sorcier faire aux juges le récit de sa vie, fabuleux roman qui tenait à la fois du conte de fées, du poème épique et de la Commedia dell’Arte mais où, parfois, apparaissaient des éclairs de vérité étranges et qui jetaient une lumière nouvelle sur le personnage. Quoi qu’il en soit, Cagliostro remporta un beau succès, clôturant l’audition des accusés par une théâtrale apothéose. La parole, à présent, appartenait à la Justice.
Quand le procureur Joly de Fleury se leva pour faire entendre à la Cour ses « recommandations », autrement dit son réquisitoire, une sorte de frisson passa sur la foule. On allait entendre certainement des mots terribles et, derrière la silhouette rouge du magistrat, nombreux étaient ceux qui voyaient déjà s’en dessiner une autre, plus rouge encore : celle du bourreau.
Au milieu de tous ces visages tendus, Gilles en distingua soudain un qui appartenait à un ancien ami du chevalier de Tournemine : Paul de Barras 6 , le gentilhomme impécunieux, le joueur presque toujours malchanceux dont il s’était attiré, un soir, l’amitié et qui la lui avait prouvée, le même soir lors du guet-apens chez Oliva, était là lui aussi. Mais dans la grande lumière du soleil son visage blême, aux traits tirés, était celui d’un oiseau de nuit brutalement jeté dans un jour cruel et Tournemine sentit la pitié se glisser dans son cœur en se souvenant des liens presque affectueux qui liaient Barras à Jeanne de La Motte. Peut-être avait-il été son amant une nuit ou deux mais, surtout, il avait
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