Le trésor
aller ?
Le joueur eut un petit rire triste.
— J’ai un cousin chanoine en Picardie. Je suis, en principe, son secrétaire… il m’abrite mais ne me nourrit guère. Allons, il faut que je m’en aille. Vous direz…
Il s’arrêta, hésita, regarda de nouveau Gilles mais cette fois avec, dans l’œil, une lueur de son ancienne gaieté. Puis, se décidant brusquement, tendit la main.
— Voulez-vous me faire l’honneur ? dit-il presque timidement.
Sans hésiter Gilles serra la main qu’il offrait.
— Merci… mon ami, murmura Barras avec émotion en appuyant intentionnellement sur le dernier mot. Cela non plus je ne l’oublierai pas… pas plus que le geste d’autrefois, rue Neuve-Saint-Gilles. Dieu vous garde !
Et il disparut dans la foule à la manière d’une couleuvre noire se glissant entre deux pierres, suivi par le regard songeur de Gilles, persuadé qu’il l’avait reconnu. Vers quel destin s’en allait-il cet homme intelligent qui usait si mal des dons que la nature lui avait impartis ? Cela pouvait être le meilleur, ou le pire, suivant qu’il parviendrait ou non à s’arracher à sa funeste passion du jeu…
Voyant qu’il était seul à présent, Beaumarchais rejoignit Tournemine.
— Eh bien ? Pouvons-nous aller dîner ?
— Volontiers… si vous voulez bien vous charger de l’addition, fit Gilles en riant. Je n’ai plus un sou en poche…
Vers cinq heures, lorsque la chaleur commença à faiblir, les deux hommes revinrent au palais. Grâce à un joli vin de Provence et à une étonnante purée de morue à la crème et à l’ail qui constituait la spécialité des « Frères provençaux » et que ceux-ci venaient de faire découvrir aux « gens du nord », ils se sentaient d’humeur plus optimiste. Mais cette belle humeur passagère ne résista guère à l’atmosphère lourde, tendue qui régnait à présent autour du palais de nouveau assiégé par une foule presque silencieuse.
— On ne sait toujours rien ? demanda Gilles à un groupe de maçons en blouse poussiéreuse qui avaient visiblement abandonné les travaux du Pont-au-Change. L’un d’eux regarda l’étranger avec une sorte de dédain, cracha par terre et consentit à répondre :
— Rien ! Z’ont repris la séance à trois heures et demie et z’ont pas encore fini. Ça doit jaspiner dur, là-dedans…
Puis il tourna le dos pour bien marquer que l’audience était terminée…
L’attente se révéla interminable. Gilles et Beaumarchais avaient regagné la grand-salle et la subirent tout entière adossés aux fûts des colonnes, regardant onduler et s’agiter faiblement la foule qui emplissait l’immense parloir chaque fois qu’une porte s’ouvrait.
Ce fut seulement à neuf heures du soir que la Grand-Chambre rouvrit les siennes, montrant, à la lumière des chandelles, les visages gris de fatigue des juges.
La sentence souleva une tempête d’acclamations qui roulèrent de la salle du tribunal jusqu’à la rue, dévalant le grand escalier comme un torrent : par vingt-six voix contre vingt-trois le cardinal-prince de Rohan était déchargé de toute accusation. C’était l’acquittement pur et simple, sans blâme, sans excuses publiques.
Les deux amis l’accueillirent sans commentaire. Ils laissèrent s’écouler le flot tumultueux qui se précipitait déjà dans la cour du palais pour assister au départ de l’ex-accusé qui allait pouvoir rentrer immédiatement chez lui. Ils partirent dans les derniers.
— Le voilà le héros du jour ! soupira Beaumarchais qui tout en marchant la tête penchée fixait le bout de sa canne avec une attention soutenue. C’est peut-être un peu beaucoup.
— Pourquoi ? Dans cette triste histoire, il n’était tout de même qu’une victime…
— Une victime qui espérait fermement faire cocu son roi. Mon ami, ce jugement est grave car non seulement le Parlement n’a tenu aucun compte des ordres du roi mais il en a pris nettement le contrepied et la victime, à présent, c’est la reine qui fait figure de coquette étourdie, sans moralité et capable de n’importe quelle sottise.
— Elle est coquette et étourdie… et son intelligence n’est pas immense.
— Sans doute. Mais cela devrait rester le secret d’un entourage restreint. Monsieur va être content : cette affaire et ce jugement jettent de la boue sur les marches du trône. Écoutez donc comme le peuple est heureux de ce soufflet appliqué à une reine
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