Le trésor
fraîchement débarqué à Paris lui aussi, complétaient la liste des convives avec un jeune homme dont Thomas Jefferson avait fait la connaissance l’hiver précédent par l’entreprise de Tim Thocker, son courrier préféré avec le général Washington, premier président des États-Unis : le « capitaine » John Vaughan.
Ami passionné des arts, grand architecte lui-même, élégant et discret, le ministre s’était senti naître une amitié spontanée pour ce grand garçon taciturne et timide, dont la courtoisie pleine de réserve et l’aspect un peu sévère, en dépit d’une magnifique allure et d’un charme indéniable, lui semblaient tout à fait typique d’un jeune Américain de bonne souche ayant connu jusque-là une vie difficile. Et quand il considérait ce nouvel ami, toujours irréprochablement élégant dans ses vêtements sobres de cette coupe anglaise dont il était l’un des fervents, Jefferson se disait qu’il aurait aimé avoir un fils comme celui-là…
De son côté, Gilles de Tournemine, alias John Vaughan, ne pouvait se défendre d’une amitié grandissante qui venait s’ajouter à l’admiration toujours éprouvée, avant même de le connaître, pour l’homme qui avait rédigé la fameuse Déclaration d’Indépendance. Cette admiration rejoignait celle qu’il avait vouée jadis à cet autre gentilhomme de Virginie, au grand artisan de la liberté américaine, au général George Washington dont il avait eu l’honneur d’être l’aide de camp…
Assis entre John Trumbull et Samuel Blackden, il regardait à travers la fumée de son cigare le visage passionné de son hôte qui développait, à l’intention de ses invités en général et du peintre en particulier, l’un des sujets qui lui tenaient le plus à cœur : le génie architectural de l’architecte italien Palladio qui avait pour lui plus d’intérêt que les actualités judiciaires parisiennes.
À quarante-trois ans, Jefferson, avec sa haute silhouette mince et bien découplée, ses traits à la fois fins et énergiques, ses épais cheveux auburn dont l’argenture seyante ne devait rien à la poudre, demeurait un homme très séduisant et plus d’une jolie femme de la société caressait le rêve secret de remplacer auprès de lui la jeune épouse qu’il ne cessait de pleurer, la charmante Martha Wayles Skelton, morte il y avait à peine quatre ans. Mais on ne lui connaissait pas d’aventures féminines, rien qu’une très tendre amitié pour la charmante et spirituelle comtesse de Tessé, tante par alliance de La Fayette…
Sa voix aussi, grave et enthousiaste, était un charme. Elle maniait le français sans le moindre accent et avec une rare perfection, surtout lorsqu’il développait, comme en ce moment, un sujet qu’il aimait.
— Je soutiens que la coupole représente le sommet dans l’art de Palladio, plus noble encore que ses doubles portiques dont la majesté rend cependant ses œuvres sans égales. Il est le seul dont les travaux surpassent presque les splendeurs de l’art grec ou romain…
— Vous aimez l’Antiquité à ce point ? dit le peintre en souriant.
— À un point inimaginable ! Lorsque je me suis rendu à Nîmes dans le midi de la France voici quelques mois, je suis demeuré des heures en contemplation devant la Maison carrée. Je crois que je la regardais tout à fait comme un amant regarde sa maîtresse.
— Elle n’a guère de coupoles, cependant…
— Non, mais tant de noblesse, de si justes proportions ! En fait de coupole, d’ailleurs, mon ami je compte vous montrer, ici même, l’une des merveilles du genre. Même chez Palladio, il n’est pas de plus noble dôme que celui de la nouvelle Halle aux Blés.
— La Halle aux Blés ?
— Mais oui, la Halle aux Blés de Paris. Tant que vous ne l’aurez pas vue, vous n’aurez aucune idée de la perfection de cette admirable rotonde, construite sur une charpente d’un modèle tout à fait nouveau. Pour ma part, je compte en faire faire des dessins poussés que j’enverrai dans ma chère ville de Richmond afin que cela serve de modèle pour le Capitole qui va s’y construire. Peut-être aussi pour le nouveau marché et même, pourquoi pas, pour ma propre demeure car j’en suis venu à cette conclusion que ma maison de Monticello aurait plus de grâce et plus de noblesse si je la couronnais d’un dôme… Mais revenons à vous. Il vous faudra voir également toutes les merveilles de la nouvelle
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