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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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la générosité des Lloyd’s, surtout envers un skipper américain, reste à démontrer. À ce propos…
    Une tumultueuse entrée lui coupa la parole. Précédé par un valet visiblement débordé et suivi d’une grosse dame armée d’une minuscule ombrelle et coiffée d’un gigantesque chapeau, un petit vieillard faisait irruption, brandissant lui aussi une ombrelle mais grande comme une tente de campagne et d’un joyeux rouge coquelicot. Il était ridé comme une pomme, ses jambes auraient pu servir de pieds à un fauteuil Louis XV et il n’avait pratiquement plus de dents, mais il n’en faisait pas moins preuve d’une vitalité digne d’un adolescent.
    — Ah, messieurs ! s’écria-t-il à demi étranglé par l’émotion, ah ! messieurs, quel coup funeste, quelle chose affreuse !… Il a fallu que je vienne à vous dans l’instant… à vous qui êtes les champions de la Liberté, à vous qui venez de lever l’étendard victorieux de la révolte contre les forces… de l’oppression monarchique… à vous qui…
    Il s’arrêta tout à coup, comme un automate dont le ressort est arrivé au bout de sa course, battit l’air de ses bras, ferma les yeux et s’évanouit tandis que l’on se précipitait à son secours au milieu d’un grand bruit de chaises remuées et que la grosse dame glapissait.
    — Bon ami ! Bon ami !… Je vous ai toujours dit que vous aviez tort de vous mettre dans de tels états !…
    — Portez M. de Latude sur la méridienne de la bibliothèque, ordonna le ministre aux valets qui avaient déjà relevé le petit vieillard. Vous y porterez aussi les eaux-de-vie, les cigares, le punch et encore du café. Ce pauvre ami en aura sûrement besoin.
    À la suite du cortège, chacun se dirigea vers la grande pièce vêtue d’acajou et de reliures précieuses, qui était, avec la salle à manger, celle où Jefferson aimait le mieux réunir ses amis. Gilles suivit, plus lentement : de tous les habitués de l’hôtel de Langeac, le vieux Latude était peut-être le seul qu’il ne pouvait pas voir. Cette ancienne victime de la Pompadour qui promenait partout ses trente-cinq ans de captivité comme une bannière, cet ancien garçon barbier pris jadis à son propre piège et qui se retrouvait à présent pensionné du roi et « vicomte de Latude » par l’inadvertance de la Chancellerie royale avait le don de lui taper sur les nerfs, presque autant que sa compagne, la replète Mme Legros, mercière retraitée, qui s’était instituée sa protectrice, sa fille, sa compagne de tous les instants et son accompagnatrice obligatoire dans tous les salons libéraux où Latude se taillait de beaux succès depuis deux ans. Elle mettait la « musique » de ses soupirs, de ses exclamations et de ses larmes sur l’interminable opéra à un seul personnage que jouait, avec un souffle épuisant pour ses auditeurs, ce champion de l’évasion sur une grande échelle.
    — Je ne comprendrai jamais, dit Paul-Jones qui n’avait pas jugé bon, lui non plus, de se précipiter et qui avait fait le tour de la table pour rejoindre Gilles, ce qui a pu séduire notre ministre dans ce petit bavard insupportable. Comment n’est-il pas excédé d’entendre continuellement les récits de ses captivités et de ses évasions ? Ce n’est pas Latude, c’est Théramène cet homme-là !… Pour ma part, j’en suis accablé et je crois, Dieu me pardonne, que si je quitte demain la France, c’est pour ne plus l’entendre.
    — M. Jefferson voit en lui une sorte de combattant de la liberté à tout prix. En outre, il faut bien avouer que trente-cinq années de captivité sont une chose affreuse, bien propre à émouvoir un cœur aussi généreux que le sien. Songez un peu : trente-cinq fois trois cent soixante-cinq jours ! Une vie entre les quatre murs d’une prison ! C’est à rendre fou…
    — Peut-être, mais quel résultat ! Regardez un peu ce bonhomme : le voilà vicomte, bien renté, devenu une manière de héros national, dorloté dans les salons sans compter la grosse mercière qui le mitonne comme un bébé. Il n’en aurait jamais eu autant s’il était resté barbier. En tout cas, un tel homme n’est guère un exemple à montrer à de jeunes demoiselles comme les misses Patsy et Polly !
    — Bah ! Elles ne quittent guère leur couvent de Panthemont. Il ne peut pas les choquer beaucoup à cette distance. Ceci dit, je suis comme vous, je ne l’aime pas mais peut-être

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