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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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l’heure excessivement matinale, Thérèse s’accordait à merveille avec le cadre de la salle à manger décorée, sous un plafond peint par Dorigny, de boiseries claires, de deux grands buffets peints en gris clair avec dessus de marbre supportant argenterie massive et porcelaines de la Compagnie des Indes, d’un poêle en faïence, d’une fontaine de cuivre rutilante et de quelques bonnes toiles flamandes représentant des natures mortes. Une quinzaine de chaises garnies d’une « moquette » de Tournay d’un beau rouge profond donnaient du ton à l’ensemble sur lequel un grand lustre en bronze doré déversait une agréable lumière.
    On sentait que cette grande jeune femme saine était l’âme d’une maison où tout respirait l’ordre, la propreté et la joie de vivre. Mais, comme elle lui offrait de reprendre du fromage de Brie, Gilles, en déclinant l’invitation, remarqua son accent qui n’était d’ailleurs pas sans lui en rappeler un autre.
    — De quelle région de France êtes-vous, madame ? demanda-t-il en souriant.
    Elle devint aussi rouge que les fraises de ses confitures.
    — Oh ! vous avez remarqué mon malheureux accent ? fit-elle avec une charmante confusion. C’est que je ne suis pas née en France, chevalier, mais bien en Suisse. Cela doit faire un peu campagnard pour un Parisien…
    — Parisien, moi ? Mais je suis Breton et il n’y a pas si longtemps encore que je n’étais qu’un petit paysan courant pieds nus sur les landes et les rochers de son pays. Alors que me parlez-vous d’accent campagnard ? Il est charmant, cet accent et, en ce qui me concerne, je le trouve particulièrement touchant car, voyez-vous, le meilleur de mes amis, le baron Ulrich-August von Winkleried zu Winkleried, est suisse comme vous et officier aux gardes. Vous comprendrez que, en ce cas, je me trouve infiniment heureux d’avoir pour hôtesse l’une de ses plus aimables compatriotes.
    En conclusion de son petit discours, il prit la main de la jeune femme qui reposait sur la nappe non loin de la sienne et l’effleura de ses lèvres à la satisfaction visible de Beaumarchais qui leur envoya, des yeux, un sourire par-dessus sa tasse de café.
    Lorsqu’il eut reposé sa tasse vide, Pierre-Augustin alla prendre sur l’un des buffets un grand coffret en bois des îles et l’apporta tout ouvert, révélant la belle couleur brun clair des cigares qu’il contenait.
    — Usez-vous de cela, chevalier ? L’Américain que vous avez été doit avoir essayé au moins une fois, là-bas, à ce que l’on dit être l’un des plaisirs de l’existence ? Personnellement, j’en use parfois mais rarement.
    — En effet, dit Gilles en prenant l’un des soyeux cylindres qu’il huma avec délices et tourna un moment entre ses doigts avant d’en offrir l’extrémité à la flamme d’une bougie. J’ai pris, là-bas, le goût de fumer le tabac de Virginie et aussi le cigare, mais j’avoue, pour celui-ci, n’avoir pas eu l’occasion d’en goûter depuis la table de l’amiral de Grasse en rade de Yorktown. Vous êtes heureux d’en posséder, monsieur de Beaumarchais. Mais vous avez, je crois, de grands intérêts en Amérique ?
    L’écrivain se mit à rire tout en sacrifiant, lui aussi, au rite minutieux de l’allumage.
    — De grands intérêts, en effet, si grands même qu’on semble les oublier assez facilement au Congrès. Ceci, joint au café que vous venez de boire, au thé et à quelques autres ingrédients, est à peu près tout ce que m’a laissé, en fait de profit, la maison Rodrigue Hortalez et Cie que j’avais fondée ici même.
    En effet, en 1776, comme l’avait fait d’ailleurs le financier Leray de Chaumont (mais celui-là avec sa propre fortune), Beaumarchais, afin de dissimuler l’aide que la France apportait aux révoltés d’Amérique, avait fondé une maison de commerce au capital d’un million de livres fourni par le gouvernement, chargée de fournir à l’Amérique armes, munitions et vêtements militaires. Ami du grandiose comme toujours, il s’était lancé là dans une affaire énorme dont il espérait des bénéfices substantiels. Après avoir frété des navires, dont l’un le Fier Rodrigue lui appartenait, il avait expédié des canons, des mortiers, des bombes, des fusils, comptant sur la bonne foi américaine pour le paiement de tout cela. Mais, passé le danger adieu le saint, et la victoire acquise, les jeunes États-Unis oubliaient joyeusement

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