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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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avatars fantaisistes qu’il avait choisis pour eux.
    Dûment affublé d’une perruque d’un noir de suie retenue dans une résille espagnole et armée de redoutables accroche-cœurs, Pongo devint le señor don Inigo Conil y Tortuga, comte de Barataria, tandis que Gilles, nanti d’une perruque de procureur et d’une paire de lunettes, se voyait promu au rang de secrétaire du noble comte.
    Ce double déguisement satisfaisait pleinement la passion de la comédie qui habitait Beaumarchais et son goût irrésistible pour les espagnolades, d’autant que ses deux protagonistes jouèrent leurs rôles avec une perfection qui le surprit. Le maintien naturellement hautain et silencieux de l’Indien s’adapta parfaitement à l’hidalgo arrogant et théâtral, ne parlant guère que par monosyllabes, voulu par l’auteur. Quant à Gilles, la contenance subalterne qui convenait à son personnage l’avait complètement transformé : clignant des paupières derrière les montures de fer de ses lunettes, le dos rond comme il sied à un homme passant le plus clair de son temps courbé sur des paperasses, les pieds en dehors et les genoux légèrement fléchis, il avait réussi à perdre une bonne partie de sa taille.
    — Vous êtes certain de vouloir retourner servir aux gardes du corps ? dit Pierre-Augustin un soir où, toutes portes closes, tous deux buvaient du vin de Champagne dans le cabinet de l’écrivain en causant de leurs affaires. Il me semble que, si vous vouliez devenir comédien, vous auriez une belle carrière devant vous… et une excellente couverture. Qui donc irait chercher un noble parmi les baladins, les histrions ?
    — L’idée pourrait être bonne, en effet, soupira Tournemine en étirant avec volupté ses longues jambes devant lui, s’il n’y avait les chandelles de la rampe et les yeux aigus du public. Et puis, je ne crois pas que je pourrais soutenir longtemps un personnage ratatiné comme en ce moment. Il faudra trouver autre chose pour la vie de tous les jours. La peau dans laquelle j’entrerai doit au moins me permettre de vivre vertical… Il n’empêche, ajouta-t-il après avoir réfléchi un instant en achevant de vider sa flûte de cristal, que j’avoue prendre un certain plaisir à ce rôle que vous me faites jouer pour vos gens. C’est amusant de changer de visage, de personnalité…
    — Je ne vous le fais pas dire ! s’écria Beaumarchais soudain épanoui. Le théâtre, mon cher, il n’y a pas de meilleure école de la vie car il permet d’aborder toutes les situations, d’entrer dans tous les personnages, d’être un jour celui-ci et demain cet autre, d’avoir vingt ans ce soir et d’approcher le siècle au matin suivant. Ah oui, c’est une belle chose qu’être comédien ! Mais, si j’ai bien compris les intentions de notre sire le roi, vous vous disposez à devenir pour moi un confrère ?
    — Un confrère ? Comment l’entendez-vous ?
    — Ne serez-vous pas, peu ou prou, un agent secret lorsque nous aurons réussi à vous trouver une personnalité de rechange convenable ? Nous serons donc confrères, conclut-il tranquillement. J’ajoute que le métier présente quelques ressemblances avec celui de comédien. L’agent est un comédien qui joue sans public, pour sa propre admiration en quelque sorte. Lui seul peut savoir s’il a été bon ou mauvais en scène car lui seul – s’il a du courage et de l’honneur – en supporte les conséquences. Voyez-vous, ajouta Beaumarchais en tendant simultanément les mains vers la grosse bouteille ronde qui reposait dans un rafraîchissoir d’argent et vers l’assiette sur laquelle Thérèse avait fait disposer des biscuits de Reims, il peut arriver qu’ayant choisi ce dangereux métier du renseignement qui est en quelque sorte celui d’une guerre perpétuelle et secrète, un homme se retrouve prisonnier du masque dont il s’est affublé et qui refuse de quitter son visage. La comédie alors devient drame…
    Tournemine regarda son hôte avec curiosité.
    — Comment cela ? J’avoue ne pas très bien comprendre. Que l’agent secret change fréquemment de visage, j’en demeure d’accord, mais pourquoi devrait-il en garder définitivement un autre aspect que le sien propre ? Le señor Rodrigue Hortalez me semble avoir bien disparu puisque vous m’avez montré, sur le devant de cette maison, ses bureaux vidés et désaffectés…
    — Rodrigue Hortalez n’était guère qu’un fantôme d’homme

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