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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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d’affaires créé pour des besoins commerciaux et je n’ai que très rarement emprunté son apparence. Il n’en va pas de même pour quelqu’un à qui je pense et qui devra, jusqu’à sa mort, demeurer captif de son double. Vous êtes jeune, chevalier, et introduit depuis trop peu de temps à la Cour pour avoir entendu prononcer le nom du chevalier d’Éon. Il ne vit plus en France d’ailleurs depuis quelque temps…
    La mémoire exacte de Tournemine qui n’oubliait jamais un nom ni un visage lui restitua immédiatement un souvenir.
    — Le chevalier d’Éon ? La dame chez qui je loge, à Versailles, m’a dit avoir hébergé avant moi une demoiselle d’Éon qui avait d’ailleurs de curieuses habitudes, entre autres celle de fumer la pipe.
    — Où habitez-vous donc ?
    — Rue de Noailles, au pavillon Marjon…
    Beaumarchais se mit à rire.
    — Eh bien, votre demoiselle et le chevalier ne font qu’une seule et même personne.
    Et il raconta l’étrange histoire de ce jeune noble bourguignon qui, entré au fameux « Secret du roi » 2 durant l’ambassade du comte de Broglie en Russie, occupa, sous des jupons de femme, le poste de lectrice de la tsarine Elisabeth avant de servir comme capitaine de dragons puis d’être chargé d’autres missions en Angleterre.
    « Mince, beau, séduisant avec un teint de demoiselle, des mains charmantes et une sorte de grâce, d’Éon faisait une aussi jolie femme qu’un fringant officier. »
    — N’exagérez-vous pas un peu ? Une femme cela se sent, cela se respire même…
    Beaumarchais se mit à rire.
    — Les brouillards de la Tamise ne m’avaient pourtant pas enrhumé, je vous le jure, mais quand je l’ai connu, je vous affirme que j’ai été pris au jeu moi qui vous parle et qui, croyez-moi, m’entends assez à… respirer les femmes. Je lui ai même proposé de l’épouser.
    Cette fois ce fut au tour de Gilles de rire. Pierre-Augustin marié à un capitaine de dragons. L’image était irrésistible.
    — Comment l’avez-vous évité ? La « dame » n’est pas tombée amoureuse de vous ?
    — Ni moi d’elle… ou de lui, d’ailleurs. Ma proposition était toute politique et puis d’Éon n’a plus vingt ans. En fait, nous nous détestons cordialement, ce qui ne m’empêche pas de le plaindre car, à la suite d’une intrigue touchant de près à l’honneur du roi d’Angleterre, d’Éon a dû faire le serment de ne plus jamais quitter ses vêtements féminins. Interdiction lui est faite, par le roi et le ministère des Affaires étrangères, de reparaître jamais sous ses habits d’homme. Et je sais qu’à présent il en souffre comme un damné.
    — Où vit-il actuellement ?
    — À Londres. On lui sert une pension. Hélas, à présent il ne reste plus grand-chose du damoiseau de jadis ! Il est amer, aigri et regrette, je crois, de tout son cœur, la folie qu’il a commise de se glisser un jour sous des falbalas de femme. Manier l’éventail, se poser des mouches, marcher continuellement perché sur des mules à hauts talons quand on aimerait tant, en pantoufles, fumer sa pipe à cheval sur une chaise en regardant roussir les vignes du Tonnerrois – du Tonnerrois où il ne retournera jamais – c’est un assez cruel supplice…
    Un silence s’établit entre les deux hommes. Gilles évoquait silencieusement mais avec horreur le sort de cet homme prisonnier de son double comme l’avait dit Beaumarchais, enseveli vivant sous les dentelles et l’attirail mièvre des femmes alors que, sans doute comme lui-même à présent, d’Éon avait rêvé d’une vie glorieuse, d’une famille à qui transmettre son vieux nom, d’une vieillesse honorable. Les récits, distraitement écoutés à l’époque, de Mlle Marjon lui revenaient en esprit. Bien souvent, la vieille demoiselle avait parlé de cette grande femme toujours vêtue de noir mais d’un noir élégant que lui fournissait la modiste de la reine, Mlle Bertin, et qui écrivait à longueur de journées en fumant sa pipe, de cette étrange créature qui n’était pas servie par une femme de chambre et qu’elle avait surprise, un matin, à la petite pointe de l’aube, faisant un assaut d’escrime avec son valet derrière les buissons qui encombraient le fond du jardin, de cette pieuse fille de Bourgogne enfin, qui n’allait jamais à la messe et encore moins à confesse. Et Gilles essayait d’imaginer ce qu’il ressentirait si les hasards d’une vie de

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