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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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peu inhabituelle. En vérité cet argent tombait bien car, n’ayant plus un sou vaillant, le jeune homme se demandait avec quelque inquiétude comment il allait pouvoir faire vivre son personnage de marin américain.
    — Voilà qui va me rendre la vie plus facile, même si elle ne doit plus durer très longtemps, fit-il en souriant. Merci, mon ami. Pourtant avant de vous quitter je voudrais vous poser encore une seule question.
    — Posez !
    — Où sont passés le bateau et son capitaine ? dit-il en agitant le papier jauni.
    Beaumarchais haussa les épaules.
    — L’un est au fond de l’eau, quelque part entre le port de Blackpool et l’île de Man, l’autre au fond de la terre, près d’une chapelle en ruine, où je l’ai mis moi-même après que la mer l’eut rejeté sur la plage de Ste Anne’s. Il portait sur lui ces papiers que j’ai eu l’idée de conserver. Je m’aperçois à présent que c’était une bonne idée car ce marin et son vaisseau fantôme vont nous être bien utiles aujourd’hui. Vous ne risquerez donc pas de le rencontrer dans le monde…
    Sans répondre, Gilles serra soigneusement les papiers dans la poche intérieure de son habit, en s’abstenant de poser la moindre question touchant les raisons qui avaient pu pousser un auteur dramatique français à errer sur les rives de la mer d’Irlande et à y enterrer des capitaines américains comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie.
    Les pensées du jeune homme allaient, en effet, dans une tout autre direction et s’attachaient surtout au nom de ce navire perdu qui évoquait pour lui tant de souvenirs doux-amers car il avait fait resurgir des fonds de sa mémoire la profonde vallée de la rivière Susquehanna, son décor de montagnes et de champs de maïs, les huttes en forme de coffrets qui abritaient la puissante tribu des Indiens Sénécas 1 . Comme s’il venait de s’y trouver magiquement transporté, Gilles revit le coude de la rivière sous le soleil levant, l’enceinte de rondins qui enfermait le camp, le poteau verni de sang séché auquel on l’avait attaché pour lui faire subir la lente mort des vrais braves et puis des visages, des silhouettes, la face haineuse de Hiakin, le sorcier, la stature fière du chef Sagoyewatha, debout à la proue recourbée d’un canot, enfin la torturante beauté de Sitapanoki, la femme qui lui avait fait perdre la tête et pour laquelle il avait failli oublier Judith.
    Certes, il en avait été bien près et, si grand que fût aujourd’hui son amour pour celle qui était devenue sa femme devant Dieu, il savait que, dût-il vivre mille ans, il n’oublierait jamais le visage aux yeux semblables à des lacs d’or liquide, le corps incomparable dont ses mains avaient tant de fois suivi les capiteux chemins. Quel homme, fait de chair et de sang, ayant possédé une déesse, pourrait jamais la chasser de sa mémoire ?
    Il y pensait encore une heure plus tard en repoussant derrière lui la porte d’une chambre qu’il venait de prendre à l’hôtel White, impasse des Petits-Pères qui était alors l’auberge où un Américain arrivant à Paris se devait de descendre. Il n’avait pas l’intention d’y séjourner longtemps, souhaitant plutôt se trouver aussi vite que possible un petit appartement dans un quartier discret où il lui serait possible de faire venir Pongo, transformé lui aussi selon les idées de Préville.
    Winkleried était reparti pour Versailles en se bornant à lui désigner, en guise d’au revoir, la belle enseigne du restaurant du sieur Hue qui faisait face à l’hôtel White.
    — J’espère bien que nous pourrons bientôt y retourner manger des écrevisses comme le jour où on s’est connus, nous deux ? Tu te souviens ?…
    — Parbleu ! On n’oublie pas ces moments-là… Le temps des écrevisses reviendra, va, et, je l’espère aussi, celui où j’aurai le droit de redevenir moi-même.
    Le pied déjà à l’étrier, Ulrich-August se ravisa.
    — Écoute, je ne peux pas te laisser aller dans ce traquenard horrifiquement seul. J’y vais aussi.
    — Merci, mais c’est impossible. Est-ce que les Suisses ne vont pas, eux aussi, à Fontainebleau ?
    — Si, bien sûr, mais nous allons avec le roi. Donc nous serons là-bas le 10. Qui empêche que je vienne moi aussi… bien caché évidemment, au rendez-vous ? Personne ne me verra, pas même toi. Mais si tu as besoin de moi je serai là…
    — Non, mon ami. Si le rendez-vous est

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