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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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allaient être obligés d’aller passer la nuit ailleurs, Gilles tourna les talons et s’éloigna pour rejoindre la voiture à laquelle il avait demandé de l’attendre auprès des murs de l’Arsenal.
    Les paroles du garde-française, le ton amer, ironique et vaguement menaçant surtout l’avaient frappé. Parlant de la reine l’homme avait failli dire « l’Autrichienne », cet adjectif anodin en apparence mais devenu insultant depuis que Marie-Antoinette avait obligé son époux à se plier à la politique de son frère, l’empereur Joseph II. Seul, sans doute, le respect de son uniforme l’avait retenu mais c’était tout de même un symptôme de plus du mécontentement qui grondait sourdement dans le peuple.
    L’hiver précédent, déjà, alors qu’en compagnie d’Ulrich-August il donnait la chasse aux pamphlétaires plus ou moins appointés par Monsieur, il avait pris conscience d’une désaffection croissante des Parisiens pour leur souveraine et ne s’en était pas autrement ému : de tous temps il avait été de bon ton chez les intellectuels et dans les salons d’attaquer le pouvoir établi. Mais ce soir, l’homme qui s’était exprimé était un soldat, l’un de ceux que leur métier instituait comme les défenseurs normaux de la monarchie. Et, plus grave encore, la reine semblait avoir perdu dans l’esprit de son peuple tout caractère sacré. On l’y dépouillait de toute grandeur pour la ravaler au rang d’une simple femme. Et c’était ce même peuple, par la voix d’un Parlement qui la détestait, que Marie-Antoinette avait chargé de lui rendre justice dans une affaire aussi sordide que celle du fameux Collier telle que Tournemine la connaissait. L’avenir décidément s’assombrissait…
    Cette impression, il la ressentit plus péniblement encore le lendemain en allant assister au départ du fameux bateau.
    Cette fois, les quais étaient noirs de monde. Mal contenus par des barrières et des cordons de gardes-françaises, les Parisiens se pressaient au spectacle royal, ce spectacle qu’ils avaient si peu souvent l’occasion de contempler chez eux. Il y en avait le long du quai du Mail, le long de celui de la Râpée naturellement et même sur la pointe de l’île Louvier où les plus audacieux s’étaient juchés sur les grandes piles de bois de construction. Certains même avaient pris d’assaut la Seyne , la vieille galiote jadis construite par Turgot pour promener la famille royale mais qui ne servait plus qu’aux inspections des échevins.
    En dépit de la saison déjà avancée, le temps était radieux. Irisée par le soleil automnal, une brume légère montait du fleuve pour accueillir les feuilles jaunies qui lentement tombaient des grands ormes. De cette brume surgissait, comme une vision d’un autre âge, le bateau neuf de la reine. C’était une étonnante, une énorme gondole dorée comme un missel, guillochée comme une tabatière, rutilante et enrubannée comme quelque Bucentaure en rupture de Guidecca. Un grand rouf, dont les fenêtres habillées de ce bleu Nattier qu’affectionnait Marie-Antoinette renvoyaient les flèches du soleil, occupait la majeure partie du pont. Il abritait neuf pièces : chambres, antichambre, salon de compagnie, cuisine. Mais l’imagination populaire et les potins de la rue aidant on y ajoutait mille folies tels que boudoirs secrets entièrement habillés de glaces, piscine emplie de parfums et salle de banquets garnie de lits à la romaine ; tous décors propres à ce que les mauvaises langues s’imaginaient devoir servir de cadre obligatoire aux orgies de la reine.
    Autour de Gilles qui s’était posté près du petit pont dont on lui avait refusé l’accès la veille, la foule déjà dense grossissait d’instant en instant doublée de voitures, de cabriolets, de pataches, de véhicules et de tout ce qui était susceptible de hisser les curieux au-dessus des têtes du commun. Cette foule s’agitait, grognait, riait, jetait au vent plaisanteries et sarcasmes et ressemblait assez à un énorme chien tirant sur sa laisse moitié par jeu moitié par rogne.
    Bousculé par une dame de la Halle dont les abondants cotillons fleuraient la marée fraîche, Gilles se détourna pour lui permettre d’approcher des barrières mais son mouvement s’arrêta brusquement et, oubliant la grosse femme qui le remerciait d’un clin d’œil aguicheur, il se figea, dévorant des yeux une tête coiffée d’un bonnet de castor et

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