Le trésor
l’intelligent animal qui hennit de joie en l’apercevant et vint, tout naturellement, offrir sa belle tête soyeuse aux caresses dont il avait été privé pendant de si longues semaines.
— Peut-être dangereux faire venir cheval ici ? remarqua Pongo qui contemplait la scène avec son habituelle impassibilité. Quelqu’un peut reconnaître…
— Tant pis ! coupa Gilles farouche. Déjà je suis privé de ma femme et je ne sais si je la reverrai vivante alors je veux au moins avoir auprès de moi ceux qui me sont le plus cher et le plus fidèle. Avec toi et lui, je me sens suffisamment fort pour attaquer tous les princes de la terre…
Le soir même, il s’en allait errer aux environs du Luxembourg près du magnifique hôtel que Monsieur avait fait construire, au bout de son jardin, par l’architecte Chalgrin pour sa bien-aimée comtesse de Balbi. Sa meilleure chance d’apprendre ce qu’il avait pu advenir de Judith, c’était la belle Anne qui la détenait puisque Monsieur ne lui cachait pas grand-chose des menées sournoises de sa politique bien personnelle. Le chevalier en était même tellement persuadé qu’en quittant Fontainebleau, il était repassé par le rendez-vous de chasse de la forêt de Rougeau dans l’espoir que peut-être, elle s’y serait attardée mais le pavillon était vide, désert et rien n’indiquait où il était possible de retrouver celle qui en avait fait, si cavalièrement, son refuge d’amour… un de ses refuges d’amour tout au moins car c’était au moins le troisième que Gilles lui connaissait.
Le grand hôtel parisien était tout aussi sombre et muet derrière son vaste jardin qu’une grille séparait seule du jardin de Monsieur. Les hautes fenêtres étaient noires et vides comme si elles ouvraient sur un monde mort. Seul le logis du concierge avait de la lumière et Gilles, sans hésiter, était allé frapper à ce logis.
L’homme déjà âgé qui était venu lui ouvrir, coiffé d’un bonnet de police et chaussé de gros chaussons de lisière, lui avait appris que Mme la comtesse n’était pas chez elle et même n’était pas à Paris car elle avait dû se rendre en province auprès de sa mère malade. On ne savait quand elle rentrerait…
Déçu car cette absence imprévue lui ôtait momentanément son meilleur moyen d’information, Gilles n’osa pas laisser le billet dont lui et Anne étaient convenus pour se rejoindre. Le concierge était peut-être dévoué à sa maîtresse… mais peut-être pas et il était toujours dangereux de laisser traîner une lettre.
À tout hasard il fit aussi un saut jusqu’à une certaine petite maison, nichée dans les bois de Satory et où plus d’une fois il avait retrouvé Mme de Balbi. Mais, comme la maison des bords de Seine, comme l’hôtel de Paris, celle-là était également déserte et vide. Il n’y avait aucun doute à garder : Anne avait bien quitté Paris. Restait à savoir si cette absence serait longue.
Alors, comme un chien perdu qui cherche son maître, Gilles était allé errer plusieurs fois, au risque de se faire remarquer, autour du Luxembourg, du château de Grosbois aussi dont il savait par expérience qu’il appartenait à Monsieur et qu’il n’était pas difficile d’y cacher quelqu’un, interrogeant quand il le pouvait un domestique, ou un jardinier. Les réponses étaient toujours les mêmes : il n’y avait personne ; le prince et sa maisonnée se trouvaient à Brunoy… ce Brunoy dont on avait exigé sa parole qu’il ne s’approcherait pas et qui l’attirait cependant comme l’aimant attire la limaille de fer. Il lui apparaissait comme une forteresse inexpugnable détentrice de tous les secrets ressorts qui commandaient sa propre vie. Bientôt, il n’y tint plus.
En dépit de l’ordre royal il n’avait pu s’empêcher de retourner à Seine-Port pour y refaire la route suivie par la berline rouge et son escorte armée, questionnant les maisons de postes, les aubergistes, tous ceux qui avaient pu remarquer l’attelage et les soldats. Quelques pièces de monnaie l’aidèrent à délier les langues et il put reconstituer assez exactement le trajet. Il s’arrêtait, en effet, à Brunoy où un paysan qui rentrait tard après avoir recherché sa vache égarée lui affirma avoir vu la voiture rouge et ses gardes franchir les limites du parc et se diriger vers les deux châteaux, le grand et le petit, qui étaient tous deux la propriété du frère du roi.
Alors il
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