Le trésor
près de la charmille, que Tournemine et Fersen. Le roi avait disparu aussi subitement qu’il était apparu et, sous l’ombre des tilleuls, les silhouettes gracieuses de la reine et de son amie étaient en train de se fondre. Quand elles eurent tout à fait disparu Gilles alla vers le bassin voisin et, s’agenouillant sur la margelle, y trempa plusieurs fois son visage.
L’eau froide lui fit du bien. La lueur d’espoir que Louis XVI avait allumée en lui après sa crise de désespoir lui avait mis l’esprit en déroute. Après trois immersions, il retrouva des idées plus claires.
— Que vas-tu faire à présent ? demanda le Suédois en lui tendant un grand mouchoir pour éponger l’eau qui ruisselait sur son visage, ce que Gilles fit avec vigueur.
Après quoi, découvrant des yeux redevenus clairs et pleins de détermination :
— Ce que je vais faire ? Mais obéir au roi, ricana-t-il, rentrer à Paris, m’y trouver un logis et y faire venir Pongo dont je vais avoir le plus grand besoin. Ensuite, je chercherai Judith, je fouillerai, s’il le faut, chacun des repaires de ce maudit comte de Provence. Et si j’obtiens la certitude que Judith a été sacrifiée…
— Eh bien ?
— Je tuerai Monsieur ! dit froidement le chevalier. Ce sera encore le meilleur service que je pourrai jamais rendre au roi… et à la France. Je me demande même, ajouta-t-il, si je ne devrais pas commencer par là…
1 . Stationné à Landrecies avec le Royal-Suédois, Fersen était rentré à Paris le 30 septembre précédent.
2 . Voir le Gerfaut des brumes , tome II : Un collier pour le diable.
CHAPITRE VIII
UNE LOGE POUR « LE MARIAGE DE FIGARO »
« Madame, il est charmant votre projet. Je viens d’y réfléchir. Il rapproche tout, termine tout, embrasse tout, et quelque chose qui arrive, mon mariage est maintenant certain. »
Suzanne se penchait pour baiser la main de la comtesse au milieu d’un tonnerre d’applaudissements tandis que le rideau se baissait sur le second acte du Mariage de Figaro.
Il se releva presque aussitôt sur les révérences des deux jeunes femmes qui jouaient les principaux rôles féminins de la célèbre comédie de Beaumarchais et l’enthousiasme de la salle grandit encore de quelques degrés tant elles avaient de grâce. Peut-être Louise Contat qui jouait Suzanne avait-elle plus d’éclat et de piquant avec son casaquin à basquine et son ample jupe à volants, mais Marie-Blanche Sainval, sous l’ample lévite 1 de soie blanche de la comtesse et sans autre coiffure que ses beaux cheveux avait, elle, tout le charme sensible de son rôle.
— Bravo ! Très, très joli ! criait Tim qui s’était dressé d’un bond dès la première salve d’applaudissements au risque de jeter par-dessus bord Gilles assis devant lui, et qui manifestait un enthousiasme d’autant plus chaleureux qu’il avait consciencieusement dormi depuis le début de l’acte.
— Vous appréciez à ce point la comédie de Pierre-Augustin, dit, en se tournant vers lui, Thérèse de Willermaulaz qui n’avait rien remarqué.
L’Américain devint rouge brique.
— Je… je ne pense pas très bien comprendre, dit-il dans son français hésitant, mais je trouver demoiselles très jolies… indeed !
— Eh bien, à la fin de la représentation, vous n’aurez qu’à demander à leur être présenté. Regardez : vous avez presque autant de succès qu’elles !
C’était vrai. Installés auprès de Thérèse, dans la loge que la Comédie-Française réservait toujours à l’auteur, les deux Américains faisaient incontestablement recette depuis leur entrée. Tim, gigantesque et hilare, toujours très homme des bois en dépit de ses vêtements occidentaux, et « John Vaughan », athlétique et sombre dans un habit de fin drap noir à la mode anglaise dont l’austérité n’était corrigée que par des boutons d’or guilloché et la mousse neigeuse d’une cravate sur laquelle s’élevait vigoureusement son visage au teint bronzé cerné d’une courte barbe brune, tous deux attiraient souvent les regards des femmes élégantes et parées qui emplissaient la belle salle neuve élevée sur l’ancien hôtel de Condé et que l’on avait inaugurée trois ans plus tôt 2 .
Une salle pleine à craquer, comme chaque fois que l’on jouait le Mariage mais où l’on ne voyait guère de gens appartenant à la Cour, à la seule exception du comte d’Artois qui, pour rien au monde,
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