Le trésor
n’aurait laissé passer une occasion de voir la belle Contat, sa maîtresse, jouer ce rôle charmant de Suzanne. La Cour, en ce début de novembre, était encore à Fontainebleau où l’Autriche et la Hollande étaient en train de signer, sous la médiation de la France, un traité qui était l’œuvre à peu près exclusive de Marie-Antoinette, et qui terminait la désastreuse aventure des bouches de l’Escaut vieille d’un an déjà et n’arrangeait pas la popularité de la souveraine. On savait depuis six mois déjà que la Hollande serait contrainte d’offrir des excuses à l’Autriche pour une sombre histoire de brigantin canonné dans l’Escaut, des excuses et de l’argent parce que la reine de France, manœuvrée depuis Vienne, avait obligé son époux à retirer ses propres troupes et à payer une partie de l’indemnité afin que les Hollandais mortifiés ne crient pas trop fort. Depuis six mois déjà, Marie-Antoinette était devenue l’Autrichienne pour Paris où, dans les salons, grondait la colère des esprits éclairés.
C’est pourquoi, ce soir, la salle de la Comédie-Française débordait presque et, si Versailles était absent, Paris, lui était là au grand complet avec, aux premiers rangs de l’orchestre, les « anciens d’Amérique », La Fayette, Lauzun, Noailles, Berthier, Lameth, tous ceux dont la coterie de la reine ne voulait pas entendre parler et qui, déjà, s’emparaient petit à petit de l’esprit de la capitale. Et, aux entractes, les commentaires allaient bon train sur ce que l’on appelait déjà « l’infâme traité de Fontainebleau ».
Tous avaient regardé les Américains et si quelques saluts joyeux étaient montés vers Tim Thocker, aucun signe de reconnaissance ne s’était adressé à Gilles bien que tous ces hommes eussent combattu avec lui et qu’il en connût intimement quelques-uns.
— Je crois que l’épreuve est concluante, lui chuchota Thérèse sous l’abri de son éventail d’ivoire peint. Personne ne vous reconnaît…
C’était Pierre-Augustin qui avait eu l’idée de cette soirée au théâtre afin d’assurer plus solidement Gilles dans son nouveau personnage.
— Tant que l’on n’a pas affronté le double feu des chandelles et des regards d’une foule, on ne peut être sûr de son rôle, lui avait-il dit.
À son retour de Fontainebleau, c’était lui que le chevalier avait vu apparaître, dès le lendemain matin, à l’hôtel White où il était retourné pour obéir aux ordres du roi comme il l’avait annoncé à Fersen. Beaumarchais apportait le signe tangible de la reconnaissance royale : un bon de caisse de vingt-cinq mille livres 3 sur la banque Thélusson qui allait permettre au pseudo-capitaine Vaughan de vivre convenablement et de tenir même un certain rang dans la société parisienne.
— Vous voilà riche, ou presque, avait dit Pierre-Augustin en souriant. Le roi désire, en outre, que des recherches soient effectuées auprès des Lloyd’s de Londres pour savoir si la Susquehanna était cotée chez eux. Auquel cas il n’y aurait aucune raison pour que le nouveau capitaine Vaughan, héritier du bateau et de la charge de son père, n’obtienne pas dédommagement du naufrage. Ce n’est pas certain, évidemment, mais c’est une éventualité assez agréable à considérer. Qu’allez-vous faire de tout cet argent ?
— M’installer d’abord, comme le roi l’ordonne, et tenter d’obtenir une certitude sur le sort de mon épouse… et puis profiter d’une aussi royale générosité pour essayer d’alléger un peu ma dette envers vous…
— Mais vous ne me devez rien, voyons ! protesta Beaumarchais.
— Allons donc ! Outre les risques courus, vous nous avez hébergés durant un grand mois, Pongo et moi. Vous nous avez nourris, vêtus, réconfortés, sauvés enfin ! Sans vous, rien de ce qui vient d’être fait n’eût été possible. Je serais encore à la Bastille, la reine et ses enfants seraient peut-être morts. Vous voyez bien qu’en vous offrant de partager avec vous je ne fais que vous rendre justice, bien petitement encore… car ce secours que vous avez dispensé si largement, vous l’avez donné à un moment où vous deviez faire face à de graves difficultés financières. Alors, je vous en prie, Beaumarchais : acceptez ! Ne fût-ce que pour ne pas me couvrir de honte !
— Mais non ! Mais je ne veux pas ! Mais jamais de la vie ! Mettez-vous bien dans la tête,
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