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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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posaient délicatement sur d’aussi petits tranchoirs de pain rassis, avant de les tremper dans la soupe à la pointe d’un coutelas, et de les engloutir voracement. Je l’observais sans en avoir l’air.
    Il se tenait séant, le dos accolé à l’un des murs. Une chandelle posée sur la table, à sa dextre, ne l’éclairait pas suffisamment pour que je puisse cerner les traits de son visage.
     
    Un bref instant, il me jeta un coup d’œil. Des yeux gris-bleu, presque transparents tant ils étaient clairs. Leur prunelle, autant que je pus en juger à cette distance, me glaça le dos. Un frisson me parcourut l’échine.
    Celui-là, s’il faisait partie de la bande, serait coriace. Beaucoup plus dangereux que les douze autres là-bas. Était-ce un pèlerin ? Un capitaine anglais ? Un espion ? Un chevalier de la suite du prince de Galles, Édouard de Woodstock ? Un Godon certainement.
    Le tavernier s’approcha de moi pour prendre ma commande. Je lui demandai s’il disposait de vin de Loire ou de Bordeaux, de lard et de soupe aux choux. Il fit une grimace et se pencha vers moi : dans le tumulte de cris et de grognements que soulevaient les Godons, il n’entendait rien et me pria de parler plus fort. Ce que je voulais justement éviter.
    Il tendit vers moi son oreille senestre. Peut-être était-il sourd de la dextre ? Une superbe verrue était plantée sur sa joue. Un peu plus, et les trois poils noirs qui sortaient du poireau m’auraient caressé le visage.
    J’approchai mes lèvres du lobe de son oreille. Il ne saisissait toujours pas ma commande. Normal, des sécrétions de miel en obstruaient le pavillon qu’il avait sale et velu.
    Je dus hausser la voix. En bon français.
    Un des sergents d’armes, à l’autre bout de la pièce, m’entendit.
    Il était en plus grande mélancolie que les autres. Il se redressa, me lança à la figure : « Sale cochon de Français ! » avec un fort accent qui devait être du pays de Galles.
    Le tavernier se dirigea vers lui. Je ne bougeai pas d’un pouce, les muscles tendus, prêt à desforer. J’évitai soigneusement de le regarder. Le moment n’était pas venu de lui régler son compte. Il récidiva : « Sale porc de Français », en faisant mine de saisir une épée dont il avait eu la malheureuse idée de poser le fourreau sur la table.
     
    L’inconnu, en face, se leva prestement, renversant le banc sur lequel il était assis. Il dégrafa la fibule de son mantel et se redressa tel Goliath face à David. Un colosse d’une trentaine d’années. Un visage dur, burelé, les cheveux, sur son crâne, coiffés d’une tignasse blonde en hérisson, les tempes et la nuque rasées de près. Je le reconnus incontinent. Il aboya :
    « Halt’s Maul, sonst poliere ich Dir die Fresse dass Dir semptliche Gesichtzüge entgleisen ! »
    — Toi, l’étranger, tu n’es pas invité à la danse », cria dans un mauvais français, un des archers gallois, déchaîné.
    —  Donnerwetter ! »
    D’un mouvement tournant, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le colosse jeta sa cape, découvrit un jupeau d’armer blanc dont la poitrine arborait les armes à la croix de sable caractéristique des chevaliers de l’Ordre de Sainte-Marie des Teutoniques.
    C’était lui ! Ces yeux gris-bleu ! C’était bien lui : le chevalier Wilhem von Forstner ! Il avait brillamment jouté lors de notre grand tournoiement de Beynac et m’avait fait proposition de rejoindre la Prusse orientale pour mériter indulgence plénière lors d’un pèlerinage hivernal contre les païens de Lituanie !
     
    Avant que je n’eusse le temps de me lever, il se saisit d’une morgenstern, une étoile du matin, d’une main, et d’une gigantesque hache d’armes, de l’autre. Il était ambidextre.
    Le fléau d’armes, une massive boule d’acier hérissée de moult pointes acérées aussi dangereuses pour l’homme et les chevaux que les chausse-trappes tétraèdres, était relié au manche par une chaîne d’anneaux entrelacés.
    Le tranchant de la hache, en forme de croissant de lune, brillait d’un éclat bleuté, signe d’un passage récent à la meule. Il était prolongé, de l’autre côté, par un pic de trois pouces qui devait traverser les mailles d’un haubert avec l’aisance de l’aiguillon d’un cordonnier.
     
    Il se rua sur le rouquin qui s’apprêtait à dégainer, une main sur la garde de son épée, l’autre sur le fourreau. Il n’aurait

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