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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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vérité. Un jour, une autre explication aurait lieu en présence du principal intéressé, Arnaud Méhée de la Vigerie. Devant mon tribunal de l’Ombre, espérais-je. Je ne me trompais point. Mais ce jour d’hui, je ne savais pas que je devrais chausser nombre de bottes avant que n’arrive ce jour béni.
    D’un mariage entre Foulques de Montfort et Éléonore de Guirande, il ne fut plus jamais question.

    Soudainement, je me souvins que j’avais enchefriné la châtelaine et sa triste servante dans les souterrains, la nuit qui avait précédé l’assaut de l’avant-garde ennemie.
    René le Passeur, Marguerite et moi étions seuls à connaître le secret de la croix cléchée qui en livrait l’accès. Je priai René de délivrer ces dames. Et de les conduire en l’appartement de la baronne pour permettre à la jolie veuve du baron de Beynac de se livrer à de rapides ablutions ou de prendre un bain parfumé aux essences de romarin, de thym, de fougère, de laurier ou de je ne sais quelqu’autre décoction selon son caprice. Avant que le chevalier de Montfort ne lui présentât des hommages soupirés depuis si longtemps.

    « Portons une santé au roi de France, comte ! » osai-je en regardant le comte de Derby dans les yeux avant de passer en revue les trois chevaliers et les six écuyers anglais qui lui servaient de garde personnelle.
    L’Anglais était de belle stature, bien que de taille moyenne, les cheveux châtain clair, coupés à mi-longueur et soigneusement brossés, les sourcils bien dessinés, le regard bleu et franc, le nez légèrement de travers, les lèvres en lame de cotel. Une balèvre creusait un fort sillon blanc, des ailes du nez à la mâchoire qu’il avait forte et proéminente.
    Je crus lire dans ses yeux une froide détermination. À nous deshachier un jour ou l’autre à la première occasion qui s’offrirait à lui. Je scrutai avec moults attentions le noble visage de ce grand capitaine, fils de roi et notre pire ennemi. Pour en graver les traits à jamais en ma mémoire.
     
    « Santé au roi d’Angleterre et de France ! » rétorqua-t-il en plissant les yeux où perçait un éclair de provocation, et en découvrant des dents blanches et bien rangées dans une bouche que la cicatrice tendait à senestre, la tordant vers le haut.
    « Santé au roi de France et d’Angleterre ! tentai-je avec malice.
    — Santé au duc d’Aquitaine, au prince Édouard de Woodstock, s’esclaffa-t-il, en levant haut son godet d’étain et en se tournant vers les gentilshommes de sa suite.
    — Santé au vassal de notre roi, tranchai-je en levant ma coupe et en parcourant l’assemblée du regard.
    — Or donc, portons belle santé à son suzerain », conclut-il fort adroitement, sans préciser, à la parfin, si son suzerain était le roi de France ou le roi d’Angleterre. Il n’y avait aucun doute, mais rien de ce qu’il venait de dire n’était susceptible de prêter à déclaration de guerre ni de rompre la trêve précaire que nous envisagions de signer. Tout était juste, tout était faux, selon qu’on interprétait ces propos dans un camp ou dans l’autre. L’homme était fin diplomate et brillait d’un esprit fort accort. Il m’avait piégé d’adroite façon. Je devais rester en grande vigilance.
    Alors que j’allais lui faire part de mon sentiment, ce grand capitaine, qui parlait notre langue à merveille avec une pointe d’accent d’oc, s’adressa, en langue anglaise cette fois, aux chevaliers et aux écuyers qui l’escortaient :
    «  They have the right man in the right place !  L’homme qu’il faut dans la place qu’il faut ! » traduisit-il en levant son godet vers moi avant d’oser clamer, haut et fort :
    « Vous mériteriez que mon père, notre roi Édouard, vous décerne l’Ordre de la Jarretière ! »
    Le compliment était trop élogieux pour être sincère. Je ne doutais pas qu’il cherchait ainsi, par la flatterie, à endormir ma vigilance. Cependant le devoir de chevalerie m’obligeait à lui rendre sa courtoisie. Ce que je fis, en m’inclinant légèrement et en levant mon godet d’étain. L’un de ses deux maréchaux, Franck de la Halle, me rendit mon salut. Un léger sourire plissait la commissure de ses lèvres. Un œil pétillant, l’autre froid comme une carpe fraîchement pochée en l’un de nos étangs. Il me souhaita bonne chance !
    Je crus comprendre “malchance”, et hésitai à lui faire préciser sa pensée

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