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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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délié. Les faibles font rarement preuve d’agilité en ces moments-là : soit ils mouillent trop leurs chausses pour garder l’esprit clair, soit leur gosier est trop sec pour l’avouer. Mais peut-être me trompai-je alors ?
    En fait, tous mes compains d’armes savaient qu’au pire, amis et ennemis ne risquaient qu’une simple décolation si l’un ou l’autre camp ne respectait pas le sauf alant et venant tacite qui permettrait de négocier les conditions de la trêve. Une décolation, rapide si nous venions à faillir pendant les pourparlers, ou douloureuse si la lame de la hache ou le fil de l’épée n’étaient pas suffisamment affûtés.
    Il est vrai que notre barbier de Beynac n’était point présent en ces lieux pour en effleurer le fil d’un pouce dextre en une douce caresse. “Si la peau est écorchée avant que le sang ne perle, le travail est fait de maladroite façon. Si du sang perle aussitôt, la lame est aiguisée dans le droit fil”, déplorait-il en regrettant que le talent de ses aïeux, les grands mires et autres barbiers du siècle passé, n’ait été transmis qu’à de trop rares élus ! Et moi de regretter qu’il ne fût point là pour abréger les souffrances atroces des suppliciés si l’on devait procéder à quelques exécutions capitales.

    Ces souffrances n’eurent pas lieu. Enfin, sur l’heure, car après avoir effectué cet échange d’otages (les chevaliers Gaucelme de Biran, Thibaut d’Agenais, faute de meilleur parti, et leurs écuyers s’étaient portés volontaires avec mon accord pour accompagner Guillaume de Lebestourac), le comte de Derby nous fit l’insigne honneur d’accepter le gentil souper que nous lui avions proposé, en nos murs et à vespres, pour discuter des modalités de la trêve. Notre belle châtelaine, la baronne Éléonore de Guirande, et ma non moins gente épouse, Marguerite, quelques dames, et faute de pouvoir y convier d’autres chevaliers encore vifs, les rares autres écuyers de la place seraient conviés à prendre place céans dans la salle du Conseil où nous avions dressé tréteaux et nappes blanches.

    Un feu puissant ronronnait dans la cheminée. Clic et Clac, mes deux molosses, couchés devant l’âtre, surveillaient du coin de l’œil l’arrivée de nos hôtes. D’aucuns manifestèrent des signes de nervosité. Il ne manquait que Cloc, la petite chatte de Marguerite. Une petite chatte affectueuse, étonnante complice des dogues, parée de magnifiques yeux verts. Presque aussi beaux que ceux de ma sœur encore inconnue, Isabeau de Guirande. Une bouffée de mélancolie m’envahit incontinent. Bien qu’en vérité, je n’eusse pas encore pu en juger autrement que dans l’imaginaire d’un songe troublant. Lors de la nuit d’un hiver blanc.
     
    Un cor sonna. On me fit savoir, peu après, que le chevalier Foulques de Montfort s’était présenté à l’entrée de la barbacane. Escorté par deux écuyers et une douzaine d’arbalétriers et de sergents montés, il s’était vu délivrer un sauf allant et venant par le maréchal Gautier de Mauny en personne. Je trouvais cela bien étrange puisque le nouveau maître de la baronnie, depuis le décès de mon compère le baron Fulbert Pons, devait ignorer l’existence de pourparlers entre notre garnison et l’armée anglaise lorsqu’il avait quitté la forteresse de Beynac. Les soupçons que je portais sur sa fidélité n’en furent que renforcés. L’homme était d’un naturel froid et peu enclin à s’épancher. Serait-il aussi traître à notre cause ? Les conséquences en seraient incalculables.

    Foulques de Montfort se permit une saillie sur l’adroite façon avec laquelle j’avais démasqué Raoul d’Astignac, mon prédécesseur ès qualités de capitaine de la place de Commarque. Finirais-je comme lui ? me dit-il. Mon sang ne fit qu’un tour et sautai à pieds joints sur l’occasion qu’il m’offrait pour lui faire part des soupçons de meurtre qui pesaient sur lui.
    Pris sans vert, le roide chevalier chancela sous l’insulte que je lui crachais au visage :
    « Je ne puis accepter d’être sermonné par un gentilhomme que j’accuse d’avoir trempé dans un meurtre ! Dans l’assassinat du commandeur de l’Ordre de l’Hôpital pour l’Aquitaine ! J’ai vérifié les dates : au cinquième jour du mois de mars, en l’an 1345, vous n’étiez point en apostage au château de Beynac, ni en visite ici, à Commarque ! Si vous

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