Le tribunal de l'ombre
tout avec le traité lui-même. On objecta que la chose n’avait pas été présentée ainsi, puisque nous étions convenus peu auparavant de la levée du siège et des formes d’une neutralité respective pour une durée de trois ans.
Nous négociâmes la rançon de chaque prisonnier, selon sa pécuniosité et sa valeur au combat. Henri de Lancastre, comte de Derby et fils puîné du roi Édouard, fit semblant de nous menacer à moult reprises de reprendre le siège, sans force conviction toutefois. À d’autres moments, il tentait de nous apitoyer sur le sort de nos prisonniers. Il jouait de tous les registres, un peu à la manière de la baronne en d’autres temps. Il évoquait tantôt les malheurs de la guerre et l’état miséreux de nos manants, de nos artisans, tantôt le rognage des monnaies, leur mauvais aloi et les conséquences qui en résultaient sur les fiefs et les bénéfices des seigneurs de la baronnie, tantôt l’insécurité qui paralysait les fructueux échanges de commerce entre nos belles cités, tantôt… tantôt…
La discussion risquait de n’en pas finir avant l’aube. Mais je défendis nos intérêts pied à pied, évoquai les plats du plantureux repas qui ne tarderait pas à être servi et qui risquait fort d’être gâchés si nous ne parvenions pas à un prompt accord. Ce fut certainement cet argument qui tempéra nos revendications et permis de parapher notre accord sur un juste prix. Le prix qui ne lésait ni un camp ni l’autre.
À la parfin, nous transigeâmes à hauteur de la moitié de nos exigences réciproques. Henri de Lancastre, en grand seigneur, déclara nous bailler incontinent trois mil livres tournois, partie en écus d’or, partie en sterlins, en échange de la libération des seuls chevaliers et sergents d’armes anglais. Il s’engagea, en outre, à leur faire bailler le solde en s’en portant fort sur son trésor personnel, dans un délai de trois mois au plus, le temps pour eux d’en réunir le prix.
J’hésitai sur les derniers termes de son offre, redoutant que lesdits redevables, pour peu qu’ils fussent impécunieux, ne récoltassent ce qu’ils resteraient devoir qu’en chevauchant contre nos bourgs et nos villages pour les piller. Mais avais-je vraiment le choix ?
En revanche, le comte de Derby nous laissait, avec grande largesse, le soin de régler le sort de nos prisonniers gascons pour lesquels il ne souhaitait ni bailler le moindre sol ni s’engager à réméré : plus pleure-pain les uns que les autres, me glissa-t-il à l’oreille en guise de perfide avertissement, ils auraient bien du mal à monnayer leur liberté.
Je rappelai cependant au comte que le gentilhomme qui avait commandé l’avant-garde de son armée, le fendant chevalier Géraud de Castelnau d’Auzan, appartenait à la maison de son ; allié, le sire de Castelnaud de Beynac, cousin de feu le baron. Icelui, lui soufflai-je à mon tour dans le creux de l’oreille, ne manquerait pas d’avancer à son féal serviteur le prix de sa rançon.
Non sans grande hypocrisie, mon interlocuteur nia cette alliance et conclut, en souriant du bout des lèvres et en me regardant par le coin de l’œil, que s’il en était bien ainsi, le ci-devant sire de Castelnaud ne manquerait assurément pas de bailler la rançon que je fixerais pour sa liberté… Pouvant désormais faire mouvement sur les terres de la baronnie en toute liberté, il me suffirait donc de dépêcher un chevaucheur vers Castelnaud-la-Chapelle, et l’affaire serait promptement réglée.
Dans sa hâte de se débarrasser du sort du chevalier gascon et de mener nos accords à bon terme, il ne vit pas venir le piège que je venais de lui tendre : je lui rappelai tout de gob que le fief de Castelnaud ne relevait pas de la suzeraineté des barons de Beynac et que la trêve que nous avions conclue ne saurait prévaloir sur les terres dudit fief. Notre chevaucheur ne devrait-il pas craindre d’être saisi par quelque poste de garde anglais lorsqu’il aurait franchi le cours de la rivière Dourdonne pour en atteindre la rive senestre ?
Il me réconforta très vite, trop vite, en me promettant un sauf alant et venant, puis rougit légèrement lorsqu’il prit conscience de sa bévue : ne venait-il pas de reconnaître implicitement les liens qui unissaient le chevalier gascon au sire de Castelnaud de Beynac ? Il fut tenté de se justifier, mais se ravisa de maladroite façon en ajoutant, le bec largement
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