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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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renforcer la chaleur naturelle, clarifier les idées (j’en étais moins sûr), ouvrir les artères, reposer le cerveau, mettre fin à l’engorgement du foie, e nlever du cœur la tristesse et favoriser la procréation ?
    Pour première assiette, notre nouvel écuyer tranchant, Guilbaud de Rouffignac et les trois pages du village nous servirent des pastés de veel menu déhaché à graisse et mouelle de bœuf, pastés de pintadeaux, boudins, saucisses, pipefarce, mais point de pastés norrois de quibus. Nos queux n’en avaient point cuisiné.
    En seconde assiette, simples cives de lièvre et brouillet d’anguille ; fèves coulées accompagnant bœuf et mouton rôtis à la broche. Nos hôtes n’en crurent pas leurs yeux. Mais la fête ne faisait que commencer.
    En tiers mets, nous eûmes droit à des rost, des chapons, des perdrix et du poisson du vivier. Les quarts mets furent plus raffinés : des mallars de rivière à la dodine, des tanches aux soupes et bourrées à la sauce chaude, des pastés de chappons de haute graisse à la soupe et au persil.
    Servis en quints mets, un délicieux bouilli lardé, du ris de veel engoulé, des anguilles renversées à l’ail finement haché (nos amis d’un soir en raffolaient ; le seul point que nous avions en commun). Des roissolles et des crespes au vieux sucre mirent les convives en appétit pour la sixième et dernière issue : des flanciaux sucrés au lait lardé, des neffles, des noix pelées, des poires cuites et la dragée au miel du chastoire.
    Enfin, pour faire passer le tout, Guilbaud de Rouffignac, promu pour l’occasion échanson, versa dans les gosiers assoiffés copieuses rasades de poiré, de cerisés et prunellés plus fortement alcoolisés les uns que les autres. Ne manquèrent que jongleurs, troubadours et baladins.
    Lorsque, en ma qualité de capitaine de céans, je proposai aux Anglais de loger la nuit parmi nous, ils déclinèrent mon invitation. Par crainte, assurément, que nous ne leur réservions un mauvais sort. Et bien qu’atteints d’une légère mélancolie, ils franchirent la barbacane, un peu éméchés, au pas, en bon ordre de marche, les fesses bien calées sur leur selle d’armes.
    La première moitié de la rançon avait été baillée, le traité de paix dont nous étions convenus avait été revu et corrigé, et chacun y avait apposé son seing et son petit sceau : le comte de Derby, le maréchal Franck de la Halle d’une part, le chevalier Foulques de Montfort et moi-même d’autre part.

    Le lendemain, nous étions déjà le jour de la fête de Saint-Martin. La légende voulait qu’un jour, en sa présence, un ours eût dévoré le bœuf qui tirait un charroi. Toujours selon la légende, ce brave homme l’aurait alors forcé à manger le charroi… L’ours en serait mort. Et Martin aurait été sanctifié… Un bel exemple de courage et de détermination face aux cruautés de ce monde !
    Mais devons-nous toujours accroire les légendes ? Ne sont-elles pas dictées par quelques arrière-pensées ? Si seulement les têtes de bûche pouvaient bouffer leurs charrois et en crever !
     
    À part les gardes apostés, personne ne circulait à l’intérieur du village fortifié : tous ses habitants, des plus humbles aux plus nobles, avaient largement profité du festin de la veille. Nous avions épuisé près d’un quart de nos ressources et pareille fête, imaginée par donner le change à nos ennemis, ne se reproduirait pas de sitôt.
    En contrebas, l’ours rentrait bien en hibernation. Il levait le camp. Le silence qui régnait sur la vallée de la Beune était seulement troublé par quelques commandements brefs et le bruit des martels qui cognaient sur les chevilles et les madriers pour démonter les machines de guerre ennemies. Certes, au printemps, il ne tarderait pas à sortir ses griffes derechef et non point seulement pour se délecter du miel de châtaignier des chastoires, mais aussi pour égorger, dépecer et piller les plus miséreux et rançonner les plus pécunieux. Avant que nous ne parvînmes à le bouter hors l’Aquitaine.
    D’aucuns parmi les nôtres croyaient avec naïveté que cela ne saurait tarder.
    Pour ma part, en ce temps-là, j’étais plus réservé, je l’avoue sinc èrement : solidement campé en notre duché qu’il vendangeait allègrement, l’Anglais ne tarderait pas à ravager d’autres contrées pour se rédimer du coût de ses chevauchées et pour asseoir ses prétentions à

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