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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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fendu cette fois, qu’après avoir échoué dans la mission qui lui avait été confiée, s’il relevait effectivement de la maison des Castelnaud de Beynac, ce qui n’avait pas été porté à sa connaissance au demeurant, il doutait tort que quiquionques acceptassent de bailler la rançon du chevalier d’Auzan ici-bas.
    Alors que j’envisageais de poursuivre l’avantage, ce chevalier qui était déjà intervenu et qui n’était certainement de la cour du roi d’Angleterre où l’on parlait le français, à moins qu’il ne souhaitât donner le change, siffla d’une voix mélodieuse et grave :
    «  May I put in a word ? May I say something {16}  ?
    —  Could you stop talking, Sir {17}  ! » lui répondit sèchement le comte de Derby. Il nous pria de bien vouloir lui faire grâce de pardonner cet échange de vue en la langue anglaise, messire Knighton ignorant notre parler français. Nous ne sûmes s’il mentait ou non. Il ajouta :
    « Par Saint-George, au Diable ces affaires, nous avons séant ce soir bon vin, bonne chère et grandes beautés ! »
    Quelque chose me disait cependant que la plupart des chevaliers de son escorte entendaient et parlaient mieux notre langue que la leur, dont d’aucuns prononçaient curieusement les mots comme s’ils avaient une pomme cuite et trop chaude dans la bouche. Rien à voir avec ce bel accent rocailleux de gens de notre pays d’oc. Les brumâts, qui baignaient leur pays dans un air humide et doux, avais-je ouï dire, étaient-ils à l’origine de cette étonnante manière de parler ? Peu me challait au fond.
    Le comte de Derby m’invita à faire porter incontinent par un de mes écuyers un message au sire de Castelnaud-la-Chapelle pour m’enquérir de la rançon qu’icelui serait prêt à bailler pour racheter la liberté de Castelnau d’Auzan, chevalier de sa maison, s’il en était.
    Ledit chevalier n’allait pas tarder à connaître le prix que sa vie et sa liberté avaient aux yeux de son triste maître. Si aucune rançon n’était baillée pour mon chevalier gascon, loin de me déplaire, cela me réjouissait : sa vie ne tenait qu’à un fil, le fil qui me reliait à ma sœur Isabeau de Guirande. Soit il m’avouait en quelles circonstances il lui aurait prétendument sauvé la vie, soit je l’emmurais ad vitam eternam si, par mansuétude chevaleresque, je ne lui descoletais pas le chef.

    La châtelaine prit place à la dextre du maître des lieux. Un silence se fit. Le chevalier de Montfort invita le comte de Derby à siéger à sa senestre. Fi de moi. Je n’existais plus. L’incident faillit se produire et gâter l’accord que nous avions laborieusement négocié, lorsque le comte préféra se glisser sur le banc aux côtés de la troublante châtelaine. Montfort roula des yeux ronds, se redressa et fut à deux doigts de jeter le gant à la figure de notre hôte ennemi. La sagesse, ou le fait qu’il n’avait pas de gant, lui dictèrent plus noble conduite. Il serra les dents et invita Marguerite à prendre place séant, à sa senestre et, faute de pouvoir faire autrement, je dus m’asseoir à côté de Marguerite. En guise de diadème, mon épouse ne portait qu’une simple couronne de laurier, mais elle la portait avec belle et grande noblesse. Elle était vêtue d’une robe écarlate en drap de laine, ample, flottante et longue, qui suggérait ses formes voluptueuses sans les mettre en valeur.
     
    Le repas que j’avais ordonné fut plus que plantureux. Je souhaitais montrer que nous ne manquions point de vivres mais, de son côté, Henri de Lancastre nous avait fait livrer dans la soirée un fût de ce bon vin de Domme dont les raisins avaient été fraîchement pressés. Bien qu’un peu roide, il présentait l’avantage d’être moins aigre, en cette époque de l’année, que les tonnels de vin dont nos manants nous avaient gratifiés à leur arrivée dans le village fortifié. Je réservais pour les gâteries un excellent vin rouge du vignoble de Bergerac enlevé à la barbe de nos amis anglais par je ne savais quel négoce.
    Or donc, furent servis petits pains de bouche et tranchoirs de seigle, eau de source brouillie et refroidie et vin de grenache, la pervenche de tous les vins. Le vin n’est-il pas, avec le pain, la nourriture par excellence d’un chrétien, l’une de deux espèces de la communion ? Ne passe-t-il pas pour nourrir le corps, rendre la santé, prévenir des infirmités, aider la digestion,

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