Le tribunal de l'ombre
utilisés.
L’art de la guerre, De l’utilisation des agents secrets,
Sun Tzu, général de l’Empire du Milieu entre l’an 400 et 320 av. J. -C.
Chapitre 5
À Commarque, en l’an de grâce MCCCXLVIII, le lendemain des ides de novembre {19} .
Combien d’années encore me faudrait-il pour connaître ma gente fée aux alumelles ? Il n’est point de larmes en ce monde que je n’eusse versé ! Toutes mes forces ne convergeaient dès lors que vers un seul but : la retrouver, la choyer, la chérir, comme un frère doit aimer et protéger une sœur puînée. Une sœur atteinte de cécité dans d’étranges circonstances, de surcroît.
Une sœur par le sang qui me valait moult fois plus par les actes charitables qu’elle avait dispensés depuis sa première jeunesse en compagnie du chevalier Gilles de Sainte-Croix, commandeur pour l’Aquitaine de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Lâchement occis en sa chapelle de Cénac. Un bien triste jour de l’an de disgrâce 1345. Par qui ? Pourquoi ? Pourquoi, je savais. Par qui, je croyais le savoir, mais je me trompais. N’avais-je pas été soupçonné moi-même de ce crime odieux ? N’avais-je pas été sur le point d’être conduit en la chambre de torture du tribunal de Sarlat par le prévôt, si feu le baron de Beynac ne m’avait pas enchefriné en sa librairie, le temps de réunir les preuves de mon innocence ?
J’envisageais d’envoyer un grand nombre de chevaucheurs parcourir la comté et au-delà, sur des terres plus lointaines s’il le fallait. Je les doterais d’autant de bourses, à charge pour eux d’acheter les services de nombreux espions. Les meilleurs, les mieux installés en toutes places fortes : serviteurs, servantes, lingères, gâte-sauce, maîtres boulangers et maîtres queux, mazelliers et viandiers, bourreleurs et haubergiers, tanneurs, savetiers… bref, tous les compains des métiers ou guildes qui vaquaient au service journalier de nos ennemis.
Mes messagers devraient s’attirer leurs bonnes grâces, quitte à leur promettre la petrus philosopharum, la pierre philosophale, s’ils parvenaient à me retourner des informations sur l’endroit où ma petite sœur, Isabeau de Guirande était détenue. J’étais fol de rage et prêt à tout pour la retrouver. À tous les mensonges, que Dieu me pardonne !
Mon désarroi était cri de désespérance. Mes voies n’avaient point les nobles qualités d’une chasse à courre. Telle chasse requiert accorte façon de suivre les voies, de diriger sa meute, de connaître les failles du terrain, les habitudes et les refuges du gibier, ses lieux de repli. Avant de sonner l’hallali.
Làs, je dus bien me rendre à l’évidence. La tâche était surhumaine et trop dispendieuse pour ma bourse, presque vide (je ne disposais plus que des quelques écus que m’avait confiés le baron de Beynac avant que nous ne quittions sa forteresse), ma condition de chevalier bachelier trop misérable, mes propres déplacements trop limités, mes amitiés trop rares pour envoyer d’aucuns chevaucheurs, par pechs et combes, soudoyer un grand nombre de gens. C’était bien regrettable, mais il en était ainsi, dus-je admettre.
Certes, une autre possibilité s’offrait à moi, moins dispendieuse.
J’avais appris, avec l’aide d’un maître fauconnier, un autre type de chasse plus à la portée des moyens dans lesquels me contraignait mon état d’infortune. Au fond, cela n’était pas pour déplaire à mon humeur entière et solitaire : un seul maître, un seul rapace, une seule proie : le sire de Castelnaud de Beynac. Je me persuadai qu’il n’était pas étranger à la disparition de ma sœur. Sinon, comment Géraud d’Auzan aurait-il pu, selon son écuyer, en connaître l’existence ?
Il me faudrait pour cela jouer sur toutes les cases de l’eschaquier : piéger le roi rampant, par alphin affronté, avec l’aide de ma fierce pour me saisir du roc avec le soutien des miens chevaliers. En d’autres termes, tenter d’investir la place de Castelnaud, soit par la force (mais il me faudrait convaincre le chevalier de Montfort et j’y répugnai), soit par la ruse, avec l’appui des maigres moyens dont je disposais. Je dus bien admettre que ce serait tâche de longue haleine, sinon impossible.
Foulques de Montfort brisa ce sentiment de mélancolie qui m’envahissait tout à trac, en s’approchant de moi pour me dire qu’il avait deux
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