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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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jambes, dont plusieurs anneaux étaient disjoints, un heaume fermé et tout bosselé qui devait remonter à l’époque des grands Pèlerinages de la Croix en Terre sainte, il n’aurait pas fait route d’aussi loin pour rien ! D’autant plus que j’étais prêt à lui bailler quelques florins d’or, s’il me donnait la signification de son juron. Par Az-samt !
    Il devait bien la connaître !
     
    La troisième lance du chevalier de sable à trois rocs d’eschaquier d’argent , l’arracha des arçons. Elle le projeta en l’air à une hauteur d’une demie toise. Le choc fut rude ; plus rude, le contact avec le pré, où l’herbe de la reverdie labourée par les sabots des chevaux, avait fait place à un sol plus dur que pierre de granit.
    Je me précipitai à l’intérieur du pas d’armes. Les spectateurs, consternés, brassaient le silence. Un silence de mort. Quatre valets d’armes le saisirent sous les aisselles et au pli des genouillères pour hisser son corps à grand arroi de peines sur une litière.
    Je défis les aiguillettes qui liaient le heaume à la gorgière et le retirai le plus délicatement possible de son chef. Sa tête dodelina mollement. Un filet de sang coulait à la commissure de ses lèvres. Le pauvre homme ne portait pas de cervelière.
    Point besoin d’être mire pour voir que ses spondiles cervicales étaient brisées. Ayant échoué lors des deux premières joutes, défait à la deuxième lance, son adversaire avait pointé sa lance sur son heaume et non plus sur l’écu. Ce fier chevalier d’Espagne n’aurait pas été occis, que j’aurais applaudi cet adroit changement de tactique.
    Le heaume portait la trace de la couronne à trois dents qui avait heurté son front. Il était mort avant de s’écraser sur le sol. Il ne parlerait plus. Je me signai.
    Alonzo de Peralda y Alfaquès emporterait dans l’au-delà le secret d’az-samt. À moins que…
    Un autre chevalier de sa route s’était approché. Il ne fut pas long à comprendre que son compain d’armes avait passé les pieds outre. Il s’agenouilla et pria. J’en devinais, sans les comprendre, quelques bribes. Une prière à la Vierge. Je tentai de parler latin avec lui. Il me regarda, le visage ravagé par la tristesse et me fit comprendre qu’il ne parlait que l’espagnol et le mauresque. Tous les spectateurs se signèrent. D’aucuns s’agenouillèrent aussi.
    Sur ordre du baron de Beynac, le champ clos fut travaillé à la herse pour ramollir et aérer le sol. Les palefreniers ramassèrent les crottins de cheval. Sous la conduite d’un bouvier, des bœufs tirèrent ensuite de curieux socles de bois de chaque côté de la lice, dans lesquels étaient chevillées les dents de plusieurs râteaux, jusqu’à obtenir une terre plus meuble. Les enfants s’en donnaient à cœur joie, en sautant sur les socles dont les dents s’enfonçaient sous leur poids.
    Le sable, apporté par de grands charrois, fut répandu à la pelle, pour soulager les membres des chevaux et amortir le cul des jouteurs s’ils venaient à choir.

    Deux fendants chevaliers avaient pris position de part et d’autre de la lice. Le chevalier Gaucelme de Biran était paré d’or à trois bandes de gueules . Malgré son âge avancé, il tenait à être opposé à un chevalier d’oc, un certain Georges de Ginestous, baron de la Liquisse, aux armes écartelé au 1 er et 4 e , d’or au lion rampant de gueules armé et lampassé de sable , venu spécialement de Beaulieu-en-Languedoc pour l’affronter.
    Une ancienne querelle qui remontait au temps du premier pèlerinage de la Croix de Raymond de Saint-Gilles. Au XIe siècle. Ou aux calendes grecques. Bref, à la nuit des temps.
     
     
    Je fis signe aux compains d’armes qui avaient fait route avec feu le chevalier Alonzo de Peralda, de bien vouloir me suivre. Nous nous dirigeâmes vers le pupitre de l’un des hérauts.
    Je pris une plume, la trempai dans l’encrier, saisis un bout de parchemin pour écrire « az-samt ». L’officiant m’arracha plume et parchemin en vitupérant, en m’invectivant. Craignait-il que je ne modifie le récolement des points gagnés par les concurrents pour l’octroi des prix du tournoiement ? J’eus beau lui expliquer, il ne voulut rien savoir et me menaça d’une pénalité de trois points si je persistais dans ma folie.
    Cramponnés tous deux au précieux document qui codifiait toutes les armoiries des chevaliers d’Occitanie, le parchemin se

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