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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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profond.
    Il ne sortirait de sa torpeur que vers prime, lorsqu’on raviverait les feux dans la cheminée des cuisines, qu’on remplirait les calels de cire et de suif dans la salle des gardes. Tous les serviteurs reprendraient leurs corvées journalières. Le vidangeur viderait la fosse d’aisance, embaumant l’air d’effluves de merdouille.
    À cette pensée, une légère envie d’oriner lui vint. Il avait la chance de disposer, à vingt pas, d’une bretèche qui faisait office de commodités. Bah, cela pourrait attendre qu’il soit relevé de son tour de garde. À la bonne heure ! soupira-t-il en baillant à se décrocher la mâchoire.
     
    Ici une chouatte chuinta ; plus bas, des grenouilles croassèrent. Le jour ne tarderait pas à se lever. On ne craindrait rien cette nuit, se disait-il, lorsqu’un cri étouffé lui parvint. Curieux pour un écureuil…
    Il revint sur ses pas. À pas lents. Il avait vraiment envie de dormir. Il se jetterait tout vêtu sur sa couche et tomberait tout de gob dans les bras de Morphée. Il paillarderait une servante plus tard, lorsqu’il aurait bien dormi et repris des forces en trempant ses tranchoirs de pain noir dans une bonne soupe aux choux et au lard. Humm !
    Un léger battement d’ailes. Un pigeon ? S’il avait eu un arc à portée de main, il l’aurait tiré. Mais son maître, le sire Gaillard de Castelnaud de Beynac ne jugeait pas utile d’en équiper les sergents apostés. Eut-il seulement réussi à le bander ? Il avait ouï dire qu’un arc était comme une espinette : le sifflement de la flèche devait jouer juste. En décochant un trait contre un pigeon ou contre un écureuil, n’aurait-il pas joué faux ?
    Et quand bien même, à plus de vingt toises de haut, l’animal se serait desrochié sur les contreforts des remparts et personne n’aurait pu s’en saisir.
    Ordre formel du maître qui faisait inspecter les fondations une fois par an : on descendait les maçons à l’aide d’une corde et d’un treuil. Il y a deux ans, ils avaient découvert un éboulis.
    Une bonne quinzaine de jours avait été nécessaire pour colmater la brèche.
    Charpentiers et manouvriers avaient attendu plusieurs mois pour être soldés. Le sire de Castelnaud était un homme dur et sec. Il était aussi pleure-pain que son cousin, sur l’autre rive. La rumeur s’était répandue qu’il recevait pourtant de riches prébendes de ses amis godons.
    Un bruit courrait aussi parmi les gens d’armes, suite à l’indiscrétion d’une servante, qu’un espion à la solde de ses ennemis s’était glissé à l’intérieur de la forteresse.
    Et qu’une jeune damoiselle serait séquestrée dans une petite cellule du donjon. Quiquionques ne pouvaient en témoigner. Des rumeurs. De simples rumeurs. Il ne pouvait en être autrement.
    Quoique ? Son maître était un homme chafouin qui cultivait le secret. Et la fornication, disait-on aussi. Marié à une épouse acariâtre, il rendrait souventes fois visite à des folieuses du Mont-de-Domme dont il goûterait, toujours selon la rumeur, les charmes complaisants. Des complaisances parfois contre nature. Flagellations, sévices corporels, sodomie…
     
    Il chassa ces calomnies de son esprit, qu’il avait aussi borné que celui d’un âne, dans une cervelle aussi grosse que celle d’un moineau. Il devait s’interdire de telles pensées. Des pensées qui, un beau jour (un bien mauvais jour), pourraient le conduire tout droit sur l’un des deux gibets plantés sur la place du village.
    À cette idée, le sergent d’armes se passa la main sur le col et sur la nuque. Il ignorait que sous peu il n’aurait pas à redouter la pendaison. Les instants qui lui restaient à vivre lui étaient chichement comptés.

    Comment un homme aussi obtus aurait-il pu imaginer que, depuis trois mois, entre minuit et matines, les puissants seigneurs fidèles aux barons du Pierregord avaient tenu conseil et avaient préparé le siège de ce méchant voisin qui les narguait depuis si longtemps sur la rive senestre de la rivière ?
    Que depuis trois semaines, franchissant le gué, en amont du village des Mirandes, du côté de Saint-Vincent-de-Cosse, profitant de la période de lune noire, dans le silence de la nuit, une armée forte de centaines d’hommes de guerre avait investi la colline boisée qui dominait la citadelle de Castelnaud au nord-est. Bottes et brodequins entourés de tissu et de paille pour éviter le moindre craquement sur

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