Le tribunal de l'ombre
les mains plaquées sur le cul pour comprimer des fesses qui avaient grande hâte de se relâcher pour éjecter le liquide gluant qui grouillait dans ses boyaux. Il défit boucle et ceinturon, arracha les aiguillettes, affala ses chausses et baissa le cul en posant les avant-bras sur les accoudoirs de pierre qui siégeaient de part et d’autre du trou béant.
Il émit un gémissement de plaisir lorsqu’il vida ses tripes, respira à pleins poumons l’odeur nauséabonde et, à l’instant où il allait expirer un soupir de soulagement, il n’eut pas le temps de jouir de sa délivrance. Il expira, tout court.
Un objet pointu avait pénétré son intimité rectale et traversé sans difficulté ses boyaux jusqu’à atteindre la gorge. Les yeux lui sortirent des globes. Mais personne n’était là pour le voir. Le sang inonda sa bouche et sa bedaine aurait eu quelques pouces de moins, que son corps serait passé par le trou de la cacatière.
Promptement retiré, le passedoux qui l’avait empalé le piqua de toutes parts jusqu’à parvenir à repousser le corps pour dégager l’accès.
La silhouette noire eut bien du mal à franchir les mâchicoulis. Mais, en jouant des pieds, des mains et de son passedoux, elle parvint à se hisser à l’intérieur.
Une torchère éclairait les quelques marches qui menaient au chemin de ronde. Incommodée, la flamme eut un haut-le-cœur au passage de l’ombre inconnue, tant l’odeur qui émanait de sa personne était d’une puanteur repoussante.
La relève surgit au moment où l’ombre noire prenait pied sur la dernière marche de l’escalier. On l’interpella :
« Holà, du guet ! C’est toi Auguste ? »
Le garde s’était approché.
« Oh, mais tu pues comme une charogne ! Si tu penses paillarder la JaJa dans cet état ! » ricana-t-il en calant sa lance contre un merlon et en s’approchant du baquet qui attendait une main complaisante pour le vider dans la fosse à merdouille. Il en balança le contenu sur celui qu’il prenait pour son compain et qui lui faisait face.
La violence du jet arracha le foulard que l’ombre noire portait autour de la tête, dévoilant une longue chevelure qui prit des reflets cuivrés à la lumière lointaine et falote de la torchère.
Marguerite, selon un geste naturel, leva les bras pour rejeter ses cheveux en arrière et cambra le corps. La pointe de ses mamelles tendit le bliaud. L’homme d’armes, en prenant la relève s’attendait à tout, sauf à sentir à portée de main une proie aussi facile, certainement consentante, qui se prêterait à ses caprices lubriques. Au pire, il la violenterait pour la forcer, se dit-il.
Il scrutait ses traits, déshabillait son corps, mais ne la reconnaissait pas :
« Tiens, tiens ! C’est donc comme ça que LouLou monte la garde ! En mignardant les drolasses ! Es-tu nouvelle aux cuisines ? À la lingerie ? Je ne t’ai point encore vue ! Par les cornes de Belzébuth, que tu es belle ! Aurais-tu vidangé la fosse à merdouille ? D’où viens-tu pour dégager une telle puanteur ? »
Ce furent ses dernières paroles.
« Du trou du Diable », lui répondit Marguerite en lui plantant dans le ventre la dague que je lui avais confiée.
« Rejoins-le ! » murmura-t-elle en basculant son corps entre deux merlons où il se dérochia trente à quarante toises plus bas, après un vol que personne ne put admirer : un nuage venait de cacher le croissant de lune.
Marguerite avait pris le contrôle des remparts côté est. Elle balança une corde à nœud dans le vide, fixée à un grappin. Un homme s’en saisit en contrebas et commença une lente ascension. Tout était une question de rapidité avant que le chemin de ronde ne soit investi par d’autres gardes.
Aucun bruit alarmant. Les châtelains reposaient benoîtement sur leur couche douillette et les gardes apostés au nord, à l’ouest et au sud des remparts ne pouvaient crier à l’arme pour une bonne raison : en principe, ils ne pouvaient voir ce qui se passait de ce côté du chemin de ronde, sauf à s’y rendre. Une faiblesse dans le système défensif du château. Une autre. Une faiblesse majeure.
L’homme qui se hissa sur le créneau portait autour de l’épaule, non pas une, mais trois autres cordes à nœud. Il fixa à son tour les grappins et lança les cordages.
Trois autres hommes les empoignèrent, bientôt suivis de trois autres, de sorte qu’en moins d’une heure, une petite
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