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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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moi.
     
    Le matin qui avait suivi la mise en bière de notre petit, elle m’avait tiré du châlit pour m’informer de sa décision de suivre l’enseignement des physiciens et autres lecteurs royaux en l’université de Montpellier. Bien que réticent (rares étaient les femmes admises sans recommandation), j’avais fait semblance de me résigner, à la condition qu’elle ne quittât pas le logis familial avant que nos enfants soient hors de pain et de pot.
    Ce que j’ignorais ce jour-là, c’est que, passées les périodes sales qu’elle avait chaque mois comme toutes les femmes qui ne portaient pas d’enfant dans leur ventre, elle se refuserait désormais au moindre contact charnel, évoquant toutes sortes de prétextes aussi fallacieux les uns que les autres : nausées, maux d’estomac, fièvre d’Acre…, me réduisant à une forme de célibat qui m’était devenue très vite insupportable. Le bel amour de ma vie s’était désincarné sous mes yeux pour se jeter dans les bras de la science !
    À la parfin, je m’étais résigné en mettant son comportement sur le compte d’une bien naturelle indisposition consécutive au malheur qui venait de frapper notre foyer.
    D’autant que l’enseignement des curés nous enjoignait de contenir les désirs de la femme, supposée insatiable et jouisseuse. J’avais respecté ces ordonnances en la calmant par l’engrossement. Le désir, avais-je appris, était source de désordre, d’obstacle à la sagesse. Làs, avais-je avoué (en imaginant le tendre sourire que la princesse Échive de Lusignan aurait lisant ce passage), mon désir de possession charnelle demeurait aussi vif que le jour où j’avais goûté ses premiers appâts (sans préciser lesquels ; ceux de Marguerite ou les siens).
     
    Trop d’interdits devraient être brisés un jour ou l’autre pour nous permettre d’atteindre une autre forme de sagesse, ne pensait-elle pas ? N’avait-ce pas été celle des hérétiques albigeois qui pratiquaient l’union libre ? Sauf à être reconnus Parfaits ou Parfaites ? Mon sang bouillonnait et je craignais de devoir la forcer un jour pour assouvir mes désirs ! À moins que ma princesse Échive ne daigne se rendre en notre baronnie pour apazimer mes sens enflammés ? avais-je suggéré innocemment.
    Abandonnant toute gestion du domaine, dédaignant les travaux de cardage ou de filature, ne s’intéressant plus à l’embellissement de nos demeures, je m’étais lamenté : mon épouse passait des jours, des nuits en notre librairie du manoir de Braulen qui s’enrichissait d’un nombre incroyable de codex, de compilations, de traités de médecine et de farmacie : De Materia medica, De Duo principis , sur le bon et le mauvais principe…
    Les étagères pliaient sous leur poids. J’avais dû les faire étayer. Cela n’avait point suffi. Il avait fallu construire une extension où s’étaient très vite entassés différents instruments de chirurgie, pinces, ciseaux aux formes étranges, crochets de toutes dimensions, cotels contournés et mieux affûtés que la lame des rasoirs du barbier.
    Ma petite lingère, ayant renoncé aussi aux travaux de broderie, se livrait sur une table de travail à des examens d’anatomie, disséquant grenouilles, lapins, oiseaux, dessinant, illustrant, consignant le relevé de ses observations sur des registres fréquemment grattés à la gomme arabique, réécrits derechef, remplissant toutes les marges de notes et d’appendices.
     
    Un jour, le jour de la fête des Rois, j’avais timidement tenté de lui rappeler que ces travaux étaient condamnés par l’Église et que, si l’évêque l’apprenait, elle pourrait bien être arrêtée sous les chefs d’accusation de sorcellerie et de pratiques sataniques.
    En guise de réponse, elle avait fait installer une serrure à la mécanique complexe à l’entrée de son atelier, avait brandi la clef, m’avait fermé la porte au nez, avait entrouvert le minuscule huis et m’avait prié de passer désormais mon chemin s’il venait à s’égarer en icelui lieu.
    Puis, se ravisant :
    « Vous avez grandement raison, messire mon mari. Un secret ne doit être partagé qu’avec une seule personne. Or donc, je le partagerai avec moi-même ! Ora et labora  ! Priez et travaillez ! », m’avait-elle conseillé avant de claquer l’huis et de me laisser là, tout déconfit.
    Ma dame de trèfle, la princesse Échive, était fort savante. Je profitai de

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