Le tribunal de l'ombre
des branches mortes.
Les pieds et les mains enduits de résine, la forme inconnue progressait sur les barreaux de la chanlatte qui avait été dressée quinze toises plus bas, en prenant appui sur le rocher de part et d’autre duquel s’élevaient deux puissants contreforts dressés de huit à dix coudées l’un de l’autre.
Ils renforçaient les murailles du côté est de la forteresse, là où une brèche avait été colmatée. Les murs étaient moins dodus. L’ingénieur qui en avait conçu les plans les avait jugés imprenables d’icelui côté. Aucune sape ne pouvait être tentée. Aucun trébuchet n’aurait suffisante portée pour en démanteler les défenses en tirant des boulets de l’autre rive, à une distance aussi considérable.
Et quand bien même, il aurait suffi, si les créneaux étaient affaiblis, d’y poster deux ou trois arbalétriers et quelques valets armés de seaux de poix ou d’eau bouillante pour descharpir, du haut des remparts, les plus téméraires qui auraient tenté la grimpette sur ce flanc.
Ou en tranchant les cordes des grappins, ou en les tirant comme des lapins. Façon de parler, bien sûr, car chacun sait que les lapins ne grimpent pas aux branches pour écheveler des parois aussi roides, aussi vertigineuses.
Sur le chemin de ronde, les gardes avaient, de jour ou par nuit de lune ronde, une vue grandiose sur la vallée de la Dourdonne et les cingles qui en jalonnaient la plaine : le manoir de Marqueyssac, en face, le château de Beynac à senestre, le Céou à dextre.
Pour renforcer les défenses du château sur le flanc est, les seigneurs de Castelnaud avaient fait construire une bretèche entre les deux contreforts. Son encorbellement surplombait les murailles et ses mâchicoulis avaient bien, à l’origine, une fonction défensive. Personne n’ayant tenté d’écheveler les murailles d’icelui côté, la fonction défensive fut abandonnée au profit d’un lieu d’aisance. Autrement dit, la bretèche servait à présent de cacatière.
Chacun jouissait ainsi de ses propres commodités, les gens de noble naissance, dans le donjon, les gardes, dans la bretèche. L’avantage de la cacatière, c’était qu’on n’avait pas besoin de la vidanger. Les excréments tombaient directement au pied de la falaise et la pluie se chargeait de les évacuer dans la rivière.
La bretèche à encorbellement était maçonnée de telle sorte qu’il était quasiment impossible de voir ce qui se passait en contrebas, sauf à avancer la tête au-dessus des mâchicoulis.
Sa fonction était de soulager les vessies et le ventre, d’oriner et de déféquer et non pas d’observer les orties. Les odeurs nauséabondes qui montaient de ce lieu de commodité par temps sec n’encourageaient d’ailleurs pas ce genre d’exploration scatologique. Quand les odeurs empestaient trop le chemin de ronde, il suffisait de rincer l’orifice en balançant quelques seaux d’eau.
Une bien grave erreur dans l’architecture castrale. Une erreur de plus dans le système de défense dont j’avais déjà, autrefois, noté les nombreuses faiblesses, côté opposé, à l’ouest, après l’entrevue houleuse que nous avions eue, Arnaud de la Vigerie et moi, avec le maître des lieux {35} .
Un morceau de bois craqua, suivi d’un cri étouffé. Le garde aposté qui parcourait mollement le chemin de ronde sortit soudainement de la torpeur qui l’envahissait. Il ne vit rien mais il s’inquiéta. Ses boyaux émirent un gazouillis annonciateur de ce qu’on appelle couramment une courante. Il lâcha un pet qui macula ses chausses, puis sur le point de déféquer, il serra les dents et les fesses, posa sa lance contre un merlon et se précipita vers la cacatière.
Il eut dû crier à l’arme. Il ne le fit pas. La ribaude avec laquelle il entretenait des relations plus bestiales que charnelles servait à la lingerie du château. Elle lui aurait vertement reproché de ne pas avoir, une fois de plus, su soulager son ventre à temps et l’aurait privé du péché de chair pendant une quinzaine si elle était bien lunée, deux si elle l’était moins.
Des pets et des coliques fréquentes souillaient ses braies et lui valaient des sermons que le pauvre homme subissait, mais supportait d’autant plus difficilement qu’il refusait de manger moins épicé. Les épices, le seul plaisir qu’il avait dans la vie, avec la copulation !
Il descendit les marches qui menaient aux commodités,
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