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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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bouches à feu ne sont pas conçues pour des tirs aussi tendus. Le projectile plombe très vite   !
    —  Voyons, maître Jean, j ’ ai ouï dire que vous aviez été formé aux meilleures écoles qui soient   : celles de messires Hugues de Cardaillac et Jean Buridan, maîtres ès arts en l ’ université de la Sorbonne   !
    —  Certes, certes, s ’ esbouffa-t-il, la bouche en forme de cul-de-poule, mais voyez-vous, messire, le mélange de salpestre, de soufre vif et de charbon de bois doit être dosé avec une savante précision et moult précautions selon le type de canons. Car ce sont des canons   ! Des bombardes, si vous voulez. Mais point des pots à feu   !
    «   Mes bébés sont d ’ origine de Venise, coulés par les meilleurs maistres fondeurs de la cité des doges, et de belle facture. Pas de paille dans le fer, pas d ’ aspérités, un fut aussi doux et lisse qu ’ une peau de bébé, chuchota-t-il en glissant la main sur le fut et en caressant la bouche à feu aussi doucement que s ’ il mignonnait une fillette.
    «   Mes bébés à moi.
    —  Je croyais qu ’ ils appartenaient au baron de Beynac   ?
    —  Pfeuuu… Ils appartiennent à qui sait s ’ en servir   ! Pensez-vous, messire Brachet, que le baron puisse en faire plus bel usage que moi   ? se gaussa-t-il en fronçant les sourcils et en bombant le torse.
    «   Les mélanges   ! Les dosages   ! Ce sont les seules choses qui comptent. Du doigté, de la finesse   ! Tout le reste n ’ est que farce r ie   ! N ’ importe qui est capable d ’ y bouter le feu   !   » renchérit-il en désignant le délicat trébuchet posé sur un trépied.
    Je souris et levai les yeux   : le soleil approchait du zénith. Le temps pressait. Je dus abréger le savant discours du maître des tonnoires pour le prier de tenter tout de même ce tour d ’ adresse.
    Ses joues se dégonflèrent, il me jeta un regard affligé et, pour bien me faire savoir qu ’ une telle affaire exigeait une science que je n ’ étais apparemment pas prêt à recevoir, il prit tout son temps pour mettre en musique ses boîtes à poudre.
    Sans pouvoir s ’ empêcher de m ’ en commenter le dosage en mimant les gestes   :
    «   Il convient, en premier lieu, de broyer les matières sur une pierre de marbre, puis de bulleter la poudre au moyen d ’ un linge f in à l ’ aide d ’ un tamis de crins de cheval finement tressés.
    «   Ensuite, lors du transport, il faut veiller à ce que le salpestre, plus lourd, ne descende pas au fond du récipient alors que le char-lion, plus léger, a une tendance naturelle à remonter à la surface.
    «   Le mélange de charbon, de soufre et de salpestre est dangereusement instable. Si l ’ on n ’ y prend garde, tout risque de vous péter à la gueule…
    —  Et votre bombarde, elle, ne risque-t-elle pas d ’ éclater lorsque vous y boutez le feu   ? m ’ inquiétai-je.
    —  Voyez-vous, messire, là réside ma science des proportions   : pour des bijoux de ce type, il faut respecter un certain rapport entre le poids du boulet de pierre et la charge de poudre. Pour un projectile de 300 livres, la charge est de 48 livres.
    —  Or donc, quel est le poids de vos boulets   ?   »
    L ’ homme était un peu dur de la feuille. Je compris bientôt pourquoi. Il me fit répéter ma question, puis   :
    «   Ces bombardes sont prévues pour projeter des boulets de 100 livres.
    —  Soit 16 livres de poudre pour un boulet de ce poids, m ’ exclamai-je, fier de ce rapide calcul, mon point fort. Ce n ’ est pas bien sorcier   !
    —  Que nenni, messire, ce n ’ est pas si simple que cela. Reste à doser le mélange de salpestre, de soufre et de charbon de bois, dans des proportions d ’ une magnifique précision.
    —  Mais encore   ?
    —  Euh, euh… Sauf votre respect, messire, je crains ne pouvoir vous livrer tous les secrets de mon art, l ’ enseignement de mes maîtres…
    —  Ceci serait-il de nature à vous délier la langue, maître ès tonnoire, lui demandai-je à la chaude, en glissant un écu d ’ argent dans sa main.
    —  Euh, euh… messire, l ’ argent est de moins bon aloi que l ’ or. Il fond plus vite. Il est plus mol. Il suffit d ’ en faire l ’ expérience…, gloussa-t-il, l ’ air colombin, en examinant la pièce. Il la mordit, y grava ses dents et me la rendit avec dédain.
    Par trop curieux d ’ en percer le secret, j ’ esquissai un sourire aussi jaune que ses dents,

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