Le Troisième Reich, T1
voter avec les communistes sur une motion communiste. Hitler décida
d'avaler la pilule. Il ordonna à ses députés de voter l'amendement communiste
et de renverser Papen avant que le chancelier pût dissoudre le Reichstag. Pour
parvenir à ce résultat, bien sûr, Goering, en tant que président, allait devoir
recourir à quelque subterfuge de procédure parlementaire. L'ancien as de
guerre, homme audacieux et aux talents nombreux, comme il devait le prouver par
la suite sur une scène plus vaste, se montra à la hauteur des circonstances.
Quand la séance reprit, Papen apparut avec sa fameuse serviette
de maroquin rouge qui, selon la tradition, contenait le décret de dissolution
qu'il venait de se faire précipitamment apporter. Mais, quand il demanda la
parole pour le lire, le président du Reichstag réussit à ne pas le voir, bien
que Papen, maintenant tout rouge, fût debout à brandir le document aux yeux de
toute l'assemblée... De toute l'assemblée sauf Goering. Celui-ci tournait d'un
autre côté son visage souriant. Il réclama un vote immédiat. Papen, d'après les
témoins oculaires, était passé du cramoisi au blanc de rage. Il s'approcha à
grands pas de la tribune du président et déposa violemment sur son bureau le
décret de dissolution. Goering, sans prêter la moindre attention, ordonna qu'on
procédât au vote. Papen, suivi de ses ministres, dont aucun n'était membre du
parlement, sortit de la salle. Les députés votèrent : 513 voix contre le
gouvernement, 32 pour. Ce fut seulement alors que Goering remarqua le morceau
de papier que l'on avait déposé avec une telle fureur sur son bureau. Il en
donna lecture à l'assemblée et déclara que, puisque ce document avait été signé
par un chancelier déjà renversé par une majorité constitutionnelle, il était
sans valeur.
On ne comprit pas tout de suite quels éléments en Allemagne
avaient gagné et lesquels avaient perdu à cet incident burlesque. Que ce dandy
de Papen eût été tourné en ridicule, cela ne faisait aucun doute; mais il avait
toujours été un peu ridicule, même, comme le disait l'ambassadeur
François-Poncet, même aux yeux de ses amis. Il était non moins évident que le
Reichstag avait démontré que l'écrasante majorité des Allemands était hostile
au gouvernement présidentiel choisi par Hindenburg. Mais n'avait-il pas, ce
faisant, porté un nouveau coup à la confiance qu'avait le public dans le
système parlementaire ? Quant aux nazis, n'avaient-ils pas donné la preuve, une
fois de plus, que non seulement ils étaient irresponsables, mais prêts à
s'allier même avec les communistes pour parvenir à leurs fins ? En outre, les
citoyens n'étaient-ils pas las des élections et les nazis ne couraient-ils pas
le risque de perdre des voix dans les élections qui allaient inévitablement
avoir lieu, les quatrièmes depuis le début de l'année? Gregor Strasser et même
Frick le pensaient, et ils estimaient qu'un tel recul pourrait se révéler
désastreux pour le parti.
Hitler cependant, nota Gœbbels ce même soir, « était transporté
de joie. Une fois de plus il a pris une décision claire, parfaitement nette ».
Le Reichstag accepta rapidement sa dissolution et l'on décida
que de nouvelles élections auraient lieu le 6 novembre. Pour les nazis, cela
représentait certaines difficultés. D'abord, comme l'observait Gœbbels, la
population en avait assez des discours et de la propagande politique. Même les
ouvriers inscrits au parti, comme il le reconnaissait dans son journal à la
date du 15 octobre, « étaient devenus très nerveux à la suite de ces
perpétuelles élections. Ils sont surmenés... » Observait-il. Il y avait aussi
des difficultés d'ordre financier. Les milieux d'affaires et de la haute
finance se rangeaient derrière Papen, qui leur avait
accordé certaines concessions. Ils se méfiaient de plus en plus, comme l'avait
signalé Funk, du refus d'Hitler de collaborer avec Hindenburg, ils se méfiaient
de ce qui leur semblait son radicalisme croissant et de sa tendance à coopérer
même avec les communistes, ainsi que l'avait démontré l'incident du Reichstag.
Gœbbels le nota dans son journal du 15 octobre : « L'argent est
extraordinairement difficile à obtenir. Tous ces messieurs de « propriété et
éducation » sont dans le camp du gouvernement. »
Quelques jours avant les élections, les nazis avaient fait cause
commune avec les communistes pour organiser une grève des
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