Le Troisième Reich, T1
intentions du président. Toute
tentative dans ce sens conduirait le pays au chaos. La police et les forces
armées ne pouvaient pas garantir que les transports et le ravitaillement
seraient assurés dans le cas d'une grève générale, pas plus qu'on ne pourrait
maintenir l'ordre et la loi dans le cas d'une guerre civile. L'Etat-major
général avait fait une étude là-dessus, et Schleicher avait demandé à son
auteur, le major Ott, de se mettre à la disposition du cabinet pour présenter
son rapport (13).
Sur quoi, le général fit entrer le major. Si les remarques de Schleicher avaient ébranlé Papen, le rapport présenté à point
nommé du major Eugen Ott (qui devait être plus tard
ambassadeur d'Hitler à Tokio) l'anéantit. Ott déclara tout simplement que « la défense des frontières et le maintien
de l'ordre contre les efforts conjugués des nazis et des communistes étaient
au-dessus des forces à la disposition des gouvernements fédéraux et
provinciaux. Il est donc recommandé au gouvernement du Reich de
s'abstenir de déclarer l'état d'urgence (14) ».
A la douloureuse surprise de Papen, l'armée allemande qui avait
jadis fait faire ses bagages au Kaiser, et qui plus récemment, sur
l'instigation de Schleicher, avait éliminé le général
Grœner et le chancelier Brüning, lui signifiait maintenant
son congé. Il alla aussitôt porter la nouvelle à Hindenburg, dans l'espoir que
le président allait destituer Schleicher de son poste de
ministre de la Défense et garder Papen comme chancelier; et il formula même
tout haut cet espoir.
« Mon cher Papen, répondit le vieux président, vous aurez bien
piètre opinion de moi si je change d'avis. Mais je suis trop vieux et j'en ai
trop vu pour accepter la responsabilité d'une guerre civile. Notre seul espoir
est de laisser Schleicher tenter sa chance. »
« De grosses larmes », jure Papen, roulèrent sur les joues de
Hindenburg. Quelques heures plus tard, alors que le chancelier destitué
rangeait son bureau, on lui apporta une photographie du président avec la
dédicace : Ich hatt einen Kameraden ! Le lendemain, le président lui
expliqua dans une lettre manuscrite combien il avait « le cœur gros » à le
relever de ses fonctions et lui réitéra l'assurance que sa confiance en lui «
demeurait inébranlée ». C'était vrai, et la suite des événements n'allait pas
tarder à le montrer.
Le 2 décembre, Kurt von Schleicher devenait chancelier, il était
le premier général à occuper ce poste depuis le général Comte Georg Leo von
Caprivi de Caprara de Montecuccoli, qui avait succédé à Bismarck, en 1890. Les
tortueuses intrigues de Schleicher avaient fini par l'amener à la plus haute
charge du pays au moment où la crise, qu'il comprenait mal, atteignait son
paroxysme; alors que la République de Weimar, qu'il avait tant contribué à
saper, s'effondrait déjà; alors que plus personne n'avait confiance en lui, pas
même le président, qu'il avait si longtemps manœuvré. Il semblait évident aux
yeux de tous, sauf aux siens, que ses jours au pouvoir étaient strictement
comptés. Les nazis en étaient sûrs. Le journal de Gœbbels porte à la date du 2
décembre cette note : « Schleicher est nommé chancelier. Il ne durera pas
longtemps. »
Papen était de cet avis également. Il souffrait dans sa vanité
blessée et brûlait de se venger de son « ami et successeur », comme il l'appelle
dans ses mémoires. Pour écarter Papen, Schleicher lui offrit l'ambassade de
Paris, mais celui-ci refusa. Le président, raconte Papen, voulait qu'il
demeurât à Berlin, « à portée de la main ». C'était l'endroit le plus
stratégique pour tisser ses propres intrigues contre le maître intrigant
qu'était Schleicher. Papen se mit aussitôt à l'ouvrage. L'année 1932, fertile
en incidents de toutes sortes, touchait à sa fin, Berlin n'était que cabales et
cabales au sein de cabales. Derrière les intrigues de Papen et de Schleicher,
il y avait la coterie du palais présidentiel, où le fils de Hindenburg, Oskar,
et son secrétaire d'État, Meissner, régnaient dans l'ombre du trône. Il y en
avait une autre à l'Hôtel Kaiserhof, où Hitler et les hommes qui l'entouraient
conspiraient non seulement pour parvenir au pouvoir, mais les uns contre les
autres. Les fils de l'intrigue ne tardèrent pas à être si emmêlés que, quand
vint le nouvel an 1933, personne ne savait plus très bien qui trompait qui.
Mais il n'allait pas leur falloir
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