Le Troisième Reich, T1
Nous sommes tous abattus et déprimés », notait Gœbbels.
C'était le coup le plus sévère qu'Hitler eût subi depuis qu'il avait
reconstruit le parti en 1925. Maintenant, au seuil du pouvoir, son principal
disciple l'abandonnait et menaçait d'anéantir tout ce qu'il avait mis sept ans
à bâtir.
Dans la soirée (écrivit Gœbbels), le Führer vient chez
nous. Il est difficile d'être joyeux. Nous sommes tous déprimés, surtout en
raison du danger que court le parti de s'effondrer, et de voir tous nos efforts
n'aboutir à rien... coup de téléphone du docteur Ley. La situation dans le
parti s'aggrave d'heure en heure. Le Führer doit regagner immédiatement le Kaiserhof .
Gœbbels fut prié de venir le rejoindre là-bas à deux heures du
matin. Strasser avait exposé son point de vue aux
quotidiens du matin qui venaient de faire leur apparition dans les rues.
Gœbbels décrit ainsi la réaction d'Hitler :
Trahison! Trahison! Trahison!
Pendant des heures, le Führer arpente la chambre d'hôtel.
Il est amer et profondément blessé par cette fourberie. Il finit par s'arrêter
et dit : « Si jamais le parti s'écroule, j'en finirai dans les trois minutes
qui suivront avec une balle de revolver. »
Le parti ne s'effondra pas, et Hitler ne se suicida pas. Strasser aurait pu obtenir ce double résultat, qui aurait
radicalement modifié le cours de l'Histoire, mais, au moment crucial, ce fut
lui qui mit les pouces. Frick, avec la permission d'Hitler, l'avait cherché
dans tout Berlin, car on l'avait persuadé qu'une réconciliation s'imposait pour
sauver le parti du désastre. Mais Strasser, qui en avait
assez de tout cela, était allé prendre un peu de vacances au soleil de
l'Italie. Hitler, toujours enchanté quand il décelait une faiblesse chez un
adversaire, frappa vite et dur. L'organisation politique que Strasser avait édifiée fut reprise par le Führer lui-même,
avec le docteur Ley, gauleiter de Cologne, comme adjoint. Les amis de Strasser
furent victimes d'une grande purge et tous les chefs de partis convoqués à
Berlin pour signer une nouvelle déclaration de fidélité à Adolf Hitler,
ce qu'ils firent.
Le rusé Autrichien s'était, une fois de plus, tiré d'une
situation difficile qui aurait fort bien pu se révéler catastrophique. Gregor Strasser, que tant de gens avaient cru être un plus grand
homme qu'Hitler, fut bien vite anéanti. « C'est un homme mort », dit de lui
Gœbbels dans son journal à la date du 9 décembre. Cela ne devait devenir
littéralement exact que deux ans plus tard, lorsque Hitler décida de régler ses
comptes.
Le 10 décembre, une semaine après avoir été évincé par le
général von Schleicher, Franz von Papen commença à tisser
son propre réseau d'intrigues. Après avoir prononcé ce soir-là un discours au
Herrenklip très fermé, et dont les riches membres avaient fourni la plupart des
recrues à son éphémère cabinet, il eut un entretien avec le baron Kurt von Schrœder, le banquier de Cologne, qui avait fourni des
fonds au Parti national socialiste. Il suggéra au financier de s'arranger pour
lui faire rencontrer secrètement Hitler. Dans ses mémoires, Papen prétend que
c'est Schrœder qui fit cette proposition, mais il convient qu'il l'accepta. Par
une étrange coïncidence, Wilhelm Keppler, le conseiller
économique d'Hitler et l'un de ses représentants dans les milieux d'affaires,
faisait de son côté la même proposition de la part du chef nazi.
Les deux hommes, qui quelques semaines plus tôt se heurtaient
encore si violemment, se rencontrèrent dans ce qu'ils espéraient être le plus
grand secret au domicile de Schrœder, à Cologne, le matin du 4 janvier. Papen
fut surpris de voir un photographe prendre un cliché de lui à l'entrée, mais il
n'y pensa guère jusqu'au lendemain. Hitler était accompagné de Hess, de Himmler
et de Keppler, mais il laissa ses lieutenants dans le salon et passa dans le
cabinet de Schrœder, où il resta enfermé pendant deux heures avec Papen et leur
hôte. La conversation commença mal, Hitler se plaignant amèrement de la façon
dont Papen avait traité les nazis quand il était chancelier, mais elle parvint
bientôt à un point qui devait se révéler décisif pour les deux hommes comme
pour leur pays.
C'était un instant crucial pour le chef nazi. Au prix d'un
effort surhumain, il avait maintenu l'intégrité du parti après la défection de
Strasser. Il avait parcouru le pays en prenant la parole trois
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