Le Troisième Reich, T1
avaient reçu la plus haute décoration du Parti
nazi, la médaille d'honneur en or, pour les services qu'ils avaient rendus en
adaptant l'économie allemande à des buts de guerre. En 1938, tous deux avaient
commencé à deviner quel était le but véritable d'Hitler. Mais ils semblent
n'avoir joui ni l'un ni l'autre de la confiance complète des chefs de
l'opposition, en raison de leur passé et de leur personnalité.
Schacht était trop opportuniste et Hassell observe dans son
journal que le président de la Reichsbank avait le don « de parler d'une
manière, et d'agir ensuite autrement », opinion partagée, dit-il, par les
généraux Beck et von Fritsch. Popitz était brillant, mais instable. A la fois
érudit hellénisant et éminent économiste, il était, comme le général Beck et
Hassell, membre du club du mercredi, groupe de seize intellectuels qui se
réunissaient une fois par semaine pour discuter philosophie, histoire, art,
science et littérature et qui, à mesure que le temps passait ou plutôt
s'épuisait, devenait l'un des centres de l'opposition.
Ulrich von Hassell devint pour les chefs de la résistance une
sorte de conseiller en matière de politique étrangère. Quand il était
ambassadeur à Rome à l'époque de la guerre d'Abyssinie, puis de la guerre
civile espagnole, nous avons vu que, dans ses dépêches à la Wilhelmstrasse, il
multipliait les conseils sur les moyens à employer pour que l'Italie restât brouillée
avec la France et la Grande-Bretagne et, par conséquent, se rangeât aux côtés
de l'Allemagne. Par la suite, il en vint à craindre qu'une guerre contre la
France et la Grande-Bretagne ne fût fatale à l'Allemagne et que même une
alliance avec l'Italie ne le devînt aussi.
Infiniment trop cultivé pour que la vulgarité du
national-socialisme lui inspirât d'autre sentiment que le mépris, il ne renonça
pourtant pas de son plein gré à servir le régime. Il fut brutalement chassé des
services diplomatiques lors du grand remaniement militaire, politique et
diplomatique entrepris par Hitler le 4 février 1938. Appartenant à une très
ancienne famille noble du Hanovre, marié à la fille du grand-amiral von
Tirpitz, le créateur de la marine allemande, gentilhomme de la vieille école
jusqu'au bout des ongles, Hassell, comme tant d'autres membres de sa classe,
semble avoir eu besoin du choc qu'il éprouva quand il fut rejeté par les nazis
pour que l'idée lui vînt de faire quelque chose pour les abattre. Dès qu'il en
eut envisagé la possibilité, cet homme sensible, intelligent, tourmenté, se
voua à cette tâche, à laquelle, nous le verrons, il sacrifia sa vie et qui lui
valut de connaître une fin cruelle.
D'autres Allemands, moins connus et plus jeunes pour la plupart,
s'étaient dressés, dès le début, contre les nazis et, peu à peu, se réunirent
pour former divers centres de résistance. Parmi les esprits les plus éclairés,
on trouvait dans l'un de ces groupes Ewald von Kleist, un gentilhomme
campagnard descendant du grand poète. Il travaillait en étroite union avec
Ernst Niekisch, un ancien social-démocrate, directeur de Widerstand (Résistance), et avec Fabian von Schlabrendorff, jeune homme de loi, arrière
petit-fils du baron von Stockmar, médecin particulier et conseiller intime de
la reine Victoria.
Il y avait aussi d'anciens chefs syndicalistes, tels que Julius
Leber, Jacob Kaiser et Wilhelm Leuschner. Deux fonctionnaires de la Gestapo,
Artur Nebe, le chef de la police criminelle, et Bernd Gisevius, jeune officier
des services de la police, apportèrent à leurs camarades un précieux concours,
à mesure que la conspiration prenait corps. Ce dernier devint par la suite
l'enfant chéri du ministère public américain à Nuremberg et écrivit un ouvrage
qui fournit d'importantes révélations sur les complots anti-hitlériens;
ajoutons toutefois que la plupart des historiens n'accordent qu'un crédit
limité au livre et à son auteur.
On trouvait également dans l'opposition un grand nombre de
descendants des plus vénérables familles d'Allemagne : le comte Helmuth von
Moltke, arrière-petit-neveu du fameux feld-maréchal qui, par la suite, créa un
groupe de résistance composé de jeunes idéalistes et connu sous le nom de
cercle Kreisau, le comte Albrecht Bernstorff, neveu de l'ambassadeur d'Allemagne
à Washington pendant la première guerre mondiale, le baron Karl Ludwig von
Guttenberg, éditeur d'une audacieuse revue catholique, et
Weitere Kostenlose Bücher