Le Troisième Reich, T1
mais
le cœur n'y est plus, parce qu'en définitive il ne croit pas au génie du
Führer. Et peut-être le compare-t-on à Charles XII.
Et, tout aussi certainement que l'eau ruisselle le long des
pentes, il découle de ce défaitisme ( Missmacherei ) non seulement un
immense danger politique — car tout le monde parle des divergences d'opinion
entre les généraux et le Führer — mais un danger pour le moral des troupes. Je
ne doute pas cependant que le Führer parvienne à ranimer l'enthousiasme du
peuple quand le moment sera venu (19).
Jodl aurait pu ajouter qu'Hitler serait également capable
d'étouffer la révolte parmi les généraux. Comme l'a dit Manstein, devant le
tribunal de Nuremberg en 1946, après la réunion du 10 août, Hitler ne permit
plus jamais aux militaires de lui poser des questions et de discuter ses ordres
(20). Le 15 août, à l'occasion de la revue militaire de Jueterbog, il rappela
aux généraux qu'il était bien décidé « à résoudre la question tchèque par la
force ». Aucun officier n'osa élever la voix pour le contredire — et il n'y
aurait d'ailleurs pas été autorisé.
Beck comprit qu'il était vaincu, en grande partie parce que ses
camarades avaient manqué de caractère et, le 18 août, il donna sa démission de
chef d'état-major général de l'armée. Il tenta d'inciter Brauchitsch à suivre
son exemple, mais le commandant en chef de l'armée subissait dès lors
complètement le pouvoir magnétique d'Hitler, sans doute influencé par
l'enthousiasme que manifestait pour les doctrines nazies celle qui allait
devenir sa seconde femme [110] .
Comme l'a dit de lui Hassell : « Brauchitsch hausse son col d'un cran et dit :
« Je suis un soldat, mon devoir est d'obéir (21). ».
Normalement, la démission d'un chef d'état-major général, en
pleine période de crise, surtout celle d'un officier aussi respecté que l'était
le général Beck, aurait dû soulever une tempête dans les milieux militaires et
même provoquer des répercussions en dehors de l'armée. Mais, là encore, Hitler
montra son habileté. S'il accepta sur-le-champ la démission de Beck — avec un
vif soulagement d'ailleurs, — il interdit qu'il en fût fait mention dans la presse
ou même dans les gazettes officielles, gouvernementales ou militaires, et
ordonna au général en retraite et à ses camarades de garder la chose pour eux.
Il ne convenait pas que les gouvernements britannique et
français eussent vent de dissensions dans les hautes sphères de l'armée
allemande en cette conjoncture critique, et il est possible que Paris et
Londres n'en aient rien su avant la fin d'octobre, quand la nouvelle fut
officiellement annoncée à Berlin. S'ils en avaient été informés, on peut supposer
que l'histoire aurait pris un tour différent; peut-être la politique
d'apaisement n'aurait-elle pas été poussée aussi loin qu'elle le fut.
Beck lui-même, par patriotisme et par sentiment de fidélité à
l'armée, ne fit aucun effort pour que la nouvelle de sa retraite se répandît
dans le public. Il fut néanmoins déçu de constater que, parmi les officiers
généraux qui s'étaient rangés à son avis et l'avaient soutenu quand il
manifestait son opposition à la guerre, pas un seul ne crut devoir suivre son
exemple et donner sa démission. Il ne chercha d'ailleurs pas à faire pression
sur eux. Von Hassell devait dire de lui plus tard : « C'était un véritable
Clausewitz, sans un atome de Blücher ou de Yorck (22) », un homme de principes
et de pensée, mais non d'action. Il estimait que Brauchitsch, en tant que
commandant en chef de l'armée, l'avait abandonné à un moment décisif de
l'histoire d'Allemagne et il s'en montrait vivement affecté. Son biographe, qui
était en même temps son ami, a évoqué, bien des années plus tard, « la profonde
amertume » du général quand il parlait de son ancien commandant en chef. En
pareille occasion, il tremblait d'émotion et murmurait : « Brauchitsch m'a
laissé en plan (23). »
Le successeur de Beck au poste de chef d'état-major de l'armée —
et dont Hitler tint à garder la nomination secrète pendant plusieurs semaines,
jusqu'à la fin de la crise — fut Franz Halder, âgé de cinquante-quatre ans,
issu d'une vieille famille militaire bavaroise et dont le père avait été
général. Lui-même, après avoir fait ses études à l'école d'artillerie, avait
servi comme jeune officier à l'état-major du prince Rupprecht pendant la guerre
de
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