Le Troisième Reich, T1
(31). Jodl nota le 13 que Keitel avait été «
terriblement bouleversé » à la suite de cette séance, en constatant que le «
défaitisme » régnait dans les hautes sphères de l'armée allemande.
Des accusations ont été portées à la connaissance du Führer
contre le défaitisme qui sévit dans le Haut Commandement de l'armée... Keitel
déclare qu'il ne tolérera pas qu'un officier de l'O.K.W. se permette des
critiques, fasse preuve d'irrésolution et de défaitisme... Le Führer sait que
le commandant de l'armée (Brauchistch) a demandé à ses généraux de l'aider à
ouvrir les yeux du Führer au sujet de l'aventure dans laquelle il est résolu à
se lancer. Lui-même n'a plus d'influence sur le Führer.
Aussi a-t-il régné à Nuremberg une atmosphère froide et
même glaciale. Il est déplorable que le Führer ait toute la nation derrière
lui, à l'exception des grands chefs de l'armée.
Cette constatation attristait profondément le jeune Jodl, fort
ambitieux, qui avait attaché son char à la fortune du Führer :
C'est seulement par leurs actes que ces généraux peuvent
réparer le mal qu'ils ont fait par leur manque de force de caractère et par
leur défaut d'obéissance. Le problème est le même qu'en 1914. Il n'y a qu'un
seul exemple de désobéissance dans l'armée et ce sont les généraux qui le
donnent — tout cela au fond à cause de leur arrogance. Ils ont perdu confiance
et sont incapables d'obéir, parce qu'ils n'ont pas reconnu le génie du Führer.
Un grand nombre d'entre eux voient encore en lui le caporal de la guerre
mondiale et non le plus grand homme d'État qui ait existé depuis Bismarck (32).
Dans son entretien avec Jodl, le 8 septembre, le général von
Stuelpnagel, qui occupait le poste de Oberquartiermeister I dans le Haut Commandement
de l'armée et qui participait à la conspiration d'Halder, avait demandé à
l'O.K.W. l'assurance écrite que le Haut Commandement de l'armée serait averti
cinq jours à l'avance de l'ordre d'attaque contre la Tchécoslovaquie. Jodl
avait répondu qu'en raison du temps incertain il ne pourrait le prévenir que
deux jours à l'avance, délai d'ailleurs suffisant pour les conspirateurs.
Mais il leur fallait des assurances d'une autre sorte, il leur
fallait savoir si, en définitive, ils avaient eu raison de supposer que la
Grande-Bretagne et la France entreraient en guerre contre l'Allemagne au cas où
Hitler attaquerait la Tchécoslovaquie. Dans ce but, ils avaient décidé
d'envoyer des agents sûrs à Londres, non seulement pour connaître les
intentions du gouvernement britannique, mais, s'il était nécessaire, pour peser
sur sa décision en l'informant qu'Hitler avait décidé d'attaquer la
Tchécoslovaquie à une certaine date, à l'automne, et que l'état-major général,
qui connaissait cette date, s'y opposait et se tenait prêt à agir pour empêcher
l'invasion, si la Grande-Bretagne demeurait fermement résolue à s'opposer aux
desseins d'Hitler.
Le premier émissaire des conspirateurs, Ewald von Kleist, choisi
par le colonel Oster, de l'Abwehr, arriva à Londres le 18 août. L'ambassadeur à
Berlin, Henderson, déjà résolu à accorder à Hitler tout ce qu'il voudrait en
Tchécoslovaquie, prévint le Foreign Office qu'il ne serait « pas prudent de
recevoir Kleist officiellement [112] ».
Néanmoins, Sir Robert Vansittart, conseiller diplomatique
auprès du ministre des Affaires étrangères et l'un des principaux adversaires à
Londres de la politique d'apaisement, reçut Kleist dans l'après-midi qui suivit
son arrivée et Winston Churchill, encore éloigné du pouvoir à cette époque, le
reçut le lendemain. Kleist répéta aux deux hommes politiques, sur qui la
pondération et la sincérité de leur visiteur firent impression, ce qu'il était
chargé de leur dire : il leur assura que Hitler avait fixé la date de
l'agression contre les Tchèques, que les généraux, dont la plupart ne
partageaient pas ses vues, étaient résolus à agir, mais que de nouvelles
concessions de la part des Britanniques feraient avorter leur projet. Si, au
contraire, la Grande-Bretagne et la France consentaient à déclarer publiquement
qu'elles ne demeureraient pas passives, tandis qu'Hitler lancerait ses armées
en Tchécoslovaquie, et si quelques hommes d'État britanniques éminents
voulaient bien adresser à l'Allemagne un avertissement solennel, au sujet des
conséquences d'une éventuelle agression nazie, alors les généraux
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