Le Troisième Reich, T1
... 2. les manifestations qui vont avoir lieu ne devront
pas être réprimées par la police.
5. On devra arrêter autant de Juifs, surtout les riches,
que peuvent en contenir les prisons actuellement existantes... Dès leur
arrestation, il conviendra de se mettre immédiatement en rapport avec les camps
de concentration appropriés, afin de les interner le plus tôt possible.
Ce fut, dans toute l'Allemagne, une nuit d'horreur. Synagogues,
maisons et boutiques juives furent dévorées par les flammes, et plusieurs
Juifs, hommes, femmes et enfants, abattus à coups de revolver ou par d'autres
moyens alors qu'ils tentaient de fuir pour n'être pas brûlés vifs. Le lendemain,
11 novembre, Heydrich envoyait à Goering un premier rapport confidentiel :
L'importance des destructions, en ce qui concerne les
boutiques et les maisons juives, ne peut être encore vérifiée par les
chiffres... 815 magasins détruits, 171 maisons d'habitation incendiées ou
détruites n'indiquent qu'une fraction des véritables dégâts, en ce qui concerne
les incendies... Le feu a été mis à 119 synagogues et 76 autres ont été
complètement détruites... 20 000 Juifs ont été arrêtés. On a signalé 36 morts;
les blessés graves sont également au nombre de 36. Les tués et les blessés sont
tous juifs...
On estime que le nombre définitif des Juifs assassinés cette
nuit-là représente plusieurs fois le chiffre annoncé primitivement. Heydrich
lui-même, dès le lendemain, fixe à 7 500 le nombre des magasins juifs pillés.
Il y eut aussi quelques cas de viol, que le tribunal du parti, présidé par le
major Buch, à en juger d'après son rapport, estimait plus graves que le
meurtre, car c'était là enfreindre les lois raciales édictées à Nuremberg qui
interdisaient toute relation sexuelle entre Juifs et Gentils.
Les coupables furent expulsés du parti et traduits devant des
tribunaux civils. Les membres du parti qui avaient assassiné des Juifs « ne
pouvaient être punis », prétendait le major Buch, puisqu'ils s'étaient bornés à
exécuter les ordres reçus. Sur ce point, il s'exprimait sans détours : « Le
public, sans exception, écrivait-il, comprend bien que des mouvements
politiques comme celui du 9 novembre sont organisés et dirigés par le parti,
que le fait soit ou non avoué [143] .
»
Le meurtre, l'incendie et le pillage ne furent pas les seules
persécutions subies par d'innocents Juifs allemands, en représailles du meurtre
de Rath à Paris. Les Juifs devaient payer la destruction de leurs propres
biens. Les primes d'assurances qui leur étaient dues étaient confisquées par
l'État. De plus, ils durent verser collectivement une amende de 1 milliard de
marks en punition « de leurs crimes abominables », selon l'expression de
Gœring. Ces sanctions supplémentaires furent décidées le 12 novembre, au cours
d'une séance grotesque, réunissant une douzaine de ministres du cabinet
allemand et de hauts personnages officiels, sous la présidence du corpulent
feld-maréchal et dont un compte rendu sténographié partiel nous est parvenu.
Un grand nombre de compagnies d'assurances allemandes allaient
être acculées à la faillite s'il leur fallait indemniser les propriétaires des
immeubles effondrés (dont la plupart, bien qu'abritant des boutiques juives, appartenaient
à des Aryens) et rembourser les meubles et les objets détruits. Uniquement en
ce qui concerne les carreaux cassés, les dégâts s'élevaient à 5 millions de
marks, ainsi que le rappela à Gœring un certain Herr Hilgard, porte-parole des
compagnies d'assurances; presque toutes les vitres à remplacer devraient être
importées, et l'Allemagne était fort pauvre en devises étrangères.
« Cela ne peut pas continuer! s'écria Gœring qui, entre autres
fonctions, remplissait celles de tsar de l'économie allemande. Nous ne pouvons
pas tenir dans ces conditions. Impossible! » Et, se tournant vers Heydrich, il
cria : « Il aurait mieux valu tuer 200 Juifs que de détruire tant d'objets
précieux [144] ! »
« Il y a eu 35 Juifs tués », répondit Heydrich pour se
disculper. La conversation, dont le compte rendu sténographique partiel compte
10 000 mots, ne se déroula pas toujours sur un ton aussi sérieux. Gœring et
Gœbbels s'amusèrent beaucoup à discuter s'il fallait imposer aux Juifs de
nouveaux affronts. Le ministre de la Propagande dit qu'on allait forcer les
Juifs à déblayer et niveler les ruines des synagogues, dont
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