Le Troisième Reich, T1
ne ferait plus guère
preuve de cette retenue qui l'avait si souvent sauvé jusqu'alors. Son génie et
celui de son pays allaient encore le conduire vers de nouvelles et éclatantes
conquêtes, mais déjà le dictateur et son peuple avaient semé, de leurs propres
mains, les graines empoisonnées qui les feraient un jour périr.
La maladie d'Hitler était contagieuse. La nation semblait
intoxiquée comme par un virus. Individuellement, je puis l'affirmer d'après mon
expérience personnelle, de nombreux Allemands furent remplis d'horreur au récit
de la nuit infernale du 9 novembre, au même titre que les Américains, les
Anglais et les autres peuples étrangers. Mais ni les chefs des Églises
chrétiennes, ni les généraux, ni aucun autre représentant de la « bonne
Allemagne » n'éleva une seule fois la voix pour protester. Ils s'inclinèrent
devant ce que le général von Fritsch appelait « l'inévitable » ou « la destinée
de l'Allemagne ».
L'atmosphère de Munich ne tarda pas à se dissiper. A Sarrebruck,
à Weimar, à Munich, Hitler prononça, au cours de
l'automne, des discours violents dans lesquels il avertissait le monde
extérieur, et les Anglais en particulier, d'avoir à s'occuper de ce qui les
regardait et de cesser de se préoccuper du sort des Allemands à l'intérieur des
frontières du Reich. C'était là, vociférait-il,
exclusivement l'affaire de l'Allemagne. Neville Chamberlain lui-même ne pouvait
tarder à découvrir la véritable nature de ce gouvernement allemand qu'il avait
tout fait pour apaiser. Peu à peu, alors que l'année 1938, si chargée
d'événements, cédait la place à l'inquiétante année 1939, le Premier Ministre
devina ce que le Führer, qu'il s'était pour sa part tant
évertué à satisfaire, dans l'intérêt de la paix européenne, manigançait dans la
coulisse [146] .
Peu de temps après Munich, Ribbentrop se rendit à Rome. La
guerre était devenue pour lui « une idée fixe », note Ciano dans son journal du
28 octobre (9).
Le Führer (avait dit Ribbentrop à Mussolini et à Ciano) est
convaincu que nous devons considérer comme inévitable une guerre contre les
démocraties européennes d'ici quelques années, peut-être trois ou quatre... La
crise tchèque a démontré notre force! Nous avons l'avantage de l'initiative et
nous sommes les maîtres de la situation. Nous ne pouvons être attaqués. La
situation militaire est excellente. A partir de septembre (1939) nous pourrons
affronter une guerre contre les grandes démocraties [147] .
Le jeune ministre italien des Affaires étrangères jugeait
Ribbentrop « vaniteux, frivole et bavard » et, après l'avoir ainsi décrit dans
son journal, il ajoute : « Le Duce dit qu'il suffit de regarder sa tête pour
voir qu'il a peu de cervelle. » Le ministre allemand des Affaires étrangères
était venu à Rome pour persuader Mussolini de mettre sa signature au bas d'un
traité d'alliance militaire auquel adhéreraient l'Allemagne, le Japon et
l'Italie, et dont une copie avait été remise aux Italiens à Munich; mais
Mussolini atermoyait. Il n'était pas encore prêt, note Ciano, à fermer la porte
au nez de la Grande-Bretagne et de la France.
Hitler lui-même caressait cet automne-là l'idée de détacher la
France de son alliée d'Outre-Manche. Quand, le 18 octobre, il accorda une
audience d'adieu à l'ambassadeur François-Poncet dans son nid d'aigle ( Felsennest ),
le fantastique repaire qu'il s'était fait construire au sommet d'une montagne,
au-dessus de Berchtesgaden [148] ,
il se répandit en attaques violentes contre la Grande-Bretagne.
L'ambassadeur trouva le Führer blême,
le visage tiré par la fatigue — il n'était pas trop fatigué cependant pour
fulminer contre Albion. La Grande-Bretagne, dit-il, « retentit de paroles
menaçantes et d'appels aux armes ». Elle est égoïste et prend des airs «
supérieurs ». Les Britanniques sont en train de détruire l'esprit de Munich. Et
ainsi de suite. La France, déclara-t-il, était différente. Il souhaitait
entretenir avec elle des relations amicales et plus étroites. Pour le prouver,
il était disposé à signer dès maintenant avec elle un pacte d'amitié
reconnaissant les frontières actuelles des deux pays (de ce fait, il renonçait
donc, une fois de plus, à toute revendication au sujet de l'Alsace-Lorraine) et
proposait de régler tout différend éventuel au moyen de consultations.
Le pacte fut signé à Paris, le 6 décembre 1938, par
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