Le Troisième Reich, T1
l'emplacement
serait ensuite transformé en parcs de stationnement. Il insista pour que les
Juifs fussent exclus de tous les lieux publics : écoles, théâtres, cinémas,
stations touristiques, plages, parcs et jusqu'aux forêts.
Il proposa qu'il y eût des wagons de chemins de fer et des
compartiments spéciaux réservés aux Juifs, mais auxquels ils n'auraient accès
qu'une fois les Aryens pourvus de places assises.
« Eh bien, quand le train sera bondé, dit Gœring en riant,
nous sortirons le Juif à coups de pied, et il fera le trajet entier tout seul
dans les toilettes. »
Quand Gœbbels demanda très sérieusement que les Juifs n'aient
pas le droit de pénétrer dans les forêts, Gœring répondit : « Nous
abandonnerons aux Juifs une certaine partie de la forêt, et nous veillerons à
ce que certains animaux qui ont bougrement l'air juif (l'élan, par exemple, a
un nez crochu comme le leur) y soient acclimatés eux aussi. »
C'est à échanger de tels propos, et beaucoup d'autres du même
genre, que les chefs du Troisième Reich passaient le temps pendant l'année
cruciale que fut 1938.
Mais quant à savoir qui paierait les 25 millions de marks de
dégâts causés par un pogrom provoqué et organisé par l'État, c'était là une
question des plus sérieuses, surtout pour Gœring, qui était maintenant
responsable de la prospérité économique de l'Allemagne nazie. Au nom des
compagnies d'assurances, Hilgard lui fit remarquer que, si les indemnités prévues
par leurs polices n'étaient pas payées aux Juifs, les gens perdraient toute
confiance dans les assurances allemandes, tant dans le pays qu'à l'étranger.
D'autre part, il ne voyait pas comment les petites compagnies parviendraient à
payer sans être complètement ruinées.
Gœring eut tôt fait de résoudre le problème : les compagnies
d'assurances indemniseraient les Juifs intégralement, mais les sommes seraient
confisquées par l'État et les assureurs partiellement remboursés de leurs
pertes. Cette combinaison ne parut pas satisfaire Hilgard qui, à juger par le
compte rendu de la séance, dut avoir l'impression qu'il était tombé parmi une
bande d'aliénés.
Gœring . — Les
Juifs seront remboursés par les compagnies d'assurances, mais les sommes seront
confisquées. Les compagnies feront des bénéfices, puisqu'elles n'auront pas à
rembourser intégralement les dommages. Herr Hilgard, vous pouvez vous estimer
bougrement heureux.
Hilgard . — Je ne vois vraiment pas pourquoi. Sous prétexte que nous n'aurons pas à
payer entièrement les dégâts, vous appelez cela des bénéfices!
Le feld-maréchal n'était pas accoutumé à s'entendre parler
ainsi et il eut tôt fait de couper court aux protestations de l'homme
d'affaires éberlué.
Gœring . — Mais
comprenez donc! Si vous êtes légalement tenu de verser 5 millions et que tout à
coup un bon ange, revêtant ma forme quelque peu corpulente, apparaît devant
vous et vous dit que vous pouvez garder là-dessus 1 million, pour l'amour du
Ciel, n'est-ce pas un bénéfice? Je voudrais bien partager avec vous
fifty-fifty, comme on dit, je crois. Il me suffit de vous regarder : vous
exultez... Vous allez toucher une commission formidable!
L'agent d'assurances n'en finissait pas de se rendre à
l'évidence.
Hilgard . — Toutes les compagnies d'assurances vont y perdre. C'est ainsi et il n'y a
rien à y changer. Personne ne peut prétendre le contraire.
Gœring . — Alors
pourquoi ne veillez-vous pas à ce que les gens cassent un peu moins de
carreaux?
Le feld-maréchal en avait assez de cet individu qui considérait
tout sous l'angle commercial. Herr Hilgard fut congédié et disparut alors à
tout jamais de la scène de l'Histoire.
Un délégué des Affaires étrangères osa prétendre qu'il faudrait
tenir compte de l'opinion publique américaine avant de prendre de nouvelles
mesures contre les Juifs [145] .
Cette réaction suscita la colère de Gœring : « Ce pays de
bandits... cette nation de gangsters! » s'écria-t-il.
Après de longues discussions, on convint de régler la question
juive de la manière suivante : les Juifs seraient éliminés de l'économie
allemande. Toutes les entreprises et biens juifs, y compris les bijoux et les
œuvres d'art, seraient transférés entre des mains aryennes : on accorderait aux
Juifs une certaine compensation, sous forme de titres de rente dont ils
pourraient utiliser les intérêts, mais non le capital. Par la suite, un
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