Le Troisième Reich, T1
Moscou, mais décida que pour l'instant il valait mieux
agir avec prudence.
Les sautes de vent qui se produisirent dans l'esprit du Führer
au cours de la dernière semaine de mai sont consignées dans les documents
saisis à la Wilhelmstrasse. Le 25 mai ou à une date rapprochée — le jour exact
n'est pas certain — il se prononça brusquement en faveur d'une poursuite des
conversations avec l'Union Soviétique afin de contrecarrer les négociations
anglo-russes. Schulenburg devait rencontrer immédiatement Molotov dans ce but. Mais les instructions de Ribbentrop
soumises à Hitler le 26 ne furent jamais transmises. Le Führer les
rapporta. Le soir même, Weizsaecker télégraphia à Schulenburg pour
lui conseiller « d'observer une attitude parfaitement réservée et de ne prendre
aucune initiative avant de recevoir de nouvelles instructions (57) ».
Ce télégramme, complété par une lettre que le secrétaire d'État
écrivit le 27 mai à l'ambassadeur à Moscou mais ne posta que le 30 mai après y
avoir ajouté un post-scriptum significatif, explique dans
une certaine mesure les hésitations de Berlin (58). Weizsaecker dans sa lettre
du 27 informait Schulenburg qu'on était d'avis, à Berlin,
qu'un accord anglo-russe « ne serait pas facile à empêcher » et que l'Allemagne
hésitait à manifester nettement son opposition, de crainte de provoquer à
Moscou « un éclat de rire tartare ». Le ministre révélait
aussi que le Japon et l'Italie avaient témoigné une grande réserve à l'égard de
la démarche que l'Allemagne se proposait d'effectuer à Moscou et que la
froideur de ses alliés avait contribué à encourager Berlin à ne pas bouger. «
Ainsi, concluait-il, nous voulons maintenant attendre de voir jusqu'où Moscou
et l'axe Paris-Londres sont disposés à s'engager mutuellement. »
Pour quelque bonne raison, Weizsaecker ne posta pas
immédiatement sa lettre; peut-être sentait-il qu'Hitler ne s'était pas encore
complètement décidé. Lorsqu'il la posta, le 30 mai, il y ajouta un post-scriptum.
P.-S. Je dois ajouter à ce qui précède qu'avec
l'approbation du Führer, il convient d'effectuer auprès des Russes des travaux
d'approche, bien que d'un caractère tout différent et par le canal d'un
entretien que je dois avoir aujourd'hui avec le chargé d'affaires russe.
Cet entretien avec Georgi Astakhov n'alla
pas très loin, mais il représenta aux yeux des Allemands un nouveau départ. Le
prétexte qu'invoqua Weizsaecker pour aller trouver le chargé d'affaires russe
fut de discuter le sort de la délégation soviétique à Prague dont les Russes
désiraient le maintien. A propos de cette question, chacun des deux diplomates
fit assaut de paroles pour essayer de percer ce que l'autre avait derrière la
tête. Weizsaecker convint avec Molotov qu'on ne pouvait
dissocier le politique de l'économique et exprima son intérêt envers la «
normalisation des relations entre la Russie Soviétique et l'Allemagne », tandis
qu'Astakhov affirmait que Molotov n' « avait aucune intention de fermer la
porte à de nouvelles discussions germano-russes ».
En dépit de la circonspection manifestée par les deux hommes,
les Allemands se sentirent encouragés. Le 30 mai, à vingt-deux heures quarante,
Weizsaecker adressa un télégramme « très urgent » à Moscou (59) :
Contrairement aux tactiques envisagées jusqu'ici, nous
venons de décider, après tout, d'établir un certain degré de contact avec
l'Union Soviétique [179] .
Peut-être est-ce le long mémorandum secret que Mussolini écrivit
à Hitler le 30 mai qui fortifia le Führer dans sa résolution de se tourner vers
l'Union Soviétique, si prudemment que ce fût. En ce début d'été, le Duce se
montrait de plus en plus sceptique sur l'opportunité d'un conflit prématuré. Il
était convaincu, écrivit-il à Hitler, qu'une guerre entre les nations
ploutocratiques, réactionnaires, égoïstes et l'Axe était « inévitable ». Mais,
ajoutait-il, « l'Italie exige une période de préparation qui peut se prolonger
jusqu'à la fin de 1942. Ce n'est qu'à partir de 1943 que le recours à la guerre
ménagera de grandes perspectives de succès ». Après avoir énuméré plusieurs
raisons pour lesquelles l' « Italie avait besoin d'une période de paix », le
Duce concluait : « Pour tous ces motifs, l'Italie ne souhaite pas précipiter
une guerre européenne tout en étant convaincue que cette dernière est
inévitable (60). »
Hitler, qui
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