Le Troisième Reich, T1
témoigné de l'empressement à poursuivre les conversations
amorcées à Berlin et à Moscou (54) ».
Cet empressement rencontra brusquement un écho à Berlin chez
Hitler.
Durant les dix derniers jours de mai, Hitler et ses conseillers
ne cessèrent de changer d'avis sur la question épineuse des avances qu'il
convenait de faire à la Russie pour contrecarrer les négociations anglo-russes.
On avait à Berlin l'impression que Molotov, dans son entretien du 20 mai avec
l'ambassadeur von der Schulenburg, avait découragé les
travaux d'approche allemands, et, le lendemain 21 mai, Weizsaecker téléphona, à
l'ambassadeur qu'en raison des propos exprimés par le Commissaire aux Affaires
étrangères : « nous devons désormais ne pas bouger et attendre que les Russes
se décident à parler plus clairement (55) ».
Mais, ayant fixé au 1er septembre son invasion de la Pologne,
Hitler ne pouvait plus se permettre de rester en attente. Le 25 mai ou aux
environs de cette date, Weizsaecker et Friedrich Gaus, directeur
du département juridique au ministère des Affaires étrangères allemand, furent
convoqués par Ribbentrop dans sa maison de campagne de Sonnenburg et, d'après le témoignage fourni par Gaus à
Nuremberg [178] ,
apprirent que le Führer désirait « normaliser les
relations entre l'Allemagne et l'Union Soviétique ».
Ribbentrop rédigea un projet d'instructions destinées à Schulenburg et décrivant avec minutie la nouvelle ligne de
conduite que celui-ci devrait adopter à l'égard de Molotov qu'il était prié de
rencontrer « aussi souvent que possible ». Ce projet figure au nombre des
documents saisis à la Wilhelmstrasse (56) .
Il fut soumis à Hitler, le 26 mai, ainsi que l'indique une note
apposée sur la copie. C'est un document lourd de révélations. Il prouve qu'à
cette date le ministère des Affaires étrangères allemand était convaincu que
les négociations anglo-russes auraient une issue favorable à moins que
l'Allemagne n'intervienne d'une façon décisive. Ribbentrop proposait donc que Schulenburg tienne à Molotov le raisonnement ci-dessous :
Il n'existe entre l'Allemagne et la Russie aucune véritable
opposition d'intérêts en matière de politique étrangère... Le temps est venu
d'envisager l'apaisement et la normalisation des relations diplomatiques
germano-soviétiques... L'alliance italo-allemande n'est pas dirigée contre
l'Union Soviétique. Elle est exclusivement dirigée contre la coalition
anglo-française.
Si, contrairement à nos vœux, nous devons en arriver à une
guerre avec la Pologne, nous sommes fermement convaincus qu'une telle
éventualité même ne doit en aucun cas entraîner une friction d'intérêts avec la
Russie Soviétique. Nous pouvons même dire qu'en réglant la question germano-polonaise
— de quelque manière que ce soit — nous nous efforcerons, dans la limite du
possible, de tenir compte des intérêts russes.
Devait ensuite venir le danger qu'une alliance avec la
Grande-Bretagne présentait pour la Russie.
Nous ne voyons vraiment pas ce qui pourrait inciter la
Russie à jouer un rôle actif dans la politique d'encerclement pratiquée par les
Anglais... Ceci équivaudrait pour la Russie à assumer des obligations
unilatérales sans aucune contrepartie britannique valable... L'Angleterre n'est
absolument pas en mesure d'offrir à la Russie une telle contrepartie. Toute
forme d'aide en Europe est rendue impossible par le « Westwall » (Ligne
Siegfried). Nous sommes donc convaincus qu'une fois de plus l'Angleterre s'en
tiendra à sa politique traditionnelle : faire tirer les marrons du feu par
d'autres puissances.
Schulenburg devait également souligner que l'Allemagne n'avait «
aucune intention agressive à l'égard de la Russie ». Pour finir, il reçut
l'ordre d'avertir Molotov que l'Allemagne était prête à
discuter avec l'Union Soviétique non seulement de questions économiques, mais
d' « une normalisation des relations politiques ».
Hitler jugea que le projet allait trop loin et ordonna de ne pas
y donner suite. Le Führer, d'après Gaus, avait été impressionné par l'optimisme
avec lequel Chamberlain, deux jours avant, le 24 mai, avait déclaré à la
Chambre des Communes qu'à la suite des nouvelles propositions britanniques il
espérait pouvoir arriver à un plein accord avec la Russie « à une date rapprochée
». Ce qu'Hitler craignait, c'était une rebuffade. Il n'abandonnait pas son idée
d'un rapprochement avec
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