Le Troisième Reich, T1
de savoir si la Pologne consentait à ce que les troupes
soviétiques pénètrent sur son territoire pour s'y opposer aux Allemands.
Comment, autrement, les Alliés pourraient-ils y affronter
l'armée allemande? Comment, sans cela, les Alliés pourraient-il protéger la
Pologne contre une invasion rapide? C'est dans cet esprit qu'il posa, le 14, la
question suivante : « Les états-majors britannique et français sont-ils d'avis
que l'Armée Rouge peut passer par la Pologne et, en particulier, par la trouée
de Vilna et par la Galicie pour établir le contact avec l'ennemi? »
C'était là le nœud même de la question. Ainsi que Seeds le
télégraphia à Londres, les Russes avaient maintenant…
soulevé le problème fondamental, sur lequel devront réussir
ou échouer les conversations militaires et qui n'a cessé, en fait, d'être à la
base de nos difficultés depuis le début des conversations politiques : comment
conclure avec l'Union Soviétique un accord fructueux tant que les pays voisins
de cette puissance s'obstineront à une sorte de boycottage qui ne
s'interrompra... que lorsqu'il sera trop tard.
Au cas où la question se poserait — et comment l'en empêcher? —
l'amiral Drax avait reçu du gouvernement anglais toutes instructions pour y
répondre. Telles qu'elles figurent dans les archives confidentielles
britanniques, celles-ci semblent, lorsqu'on les lit aujourd'hui, d'une
incroyable naïveté. Le « raisonnement » qu'il devait tenir par suite du refus
de la Pologne et de la Roumanie « d'envisager même des plans de coopération
possible » était le suivant :
L'invasion de la Pologne et de la Roumanie risque de
beaucoup modifier le point de vue de ces dernières. De plus, ce serait un grand
désavantage pour la Russie que l'Allemagne occupe des positions jusqu'à la
frontière soviétique... C'est donc dans son intérêt même que la Russie devrait
préparer des plans pour venir en aide à la Pologne et à la Roumanie en cas
d'invasion de ces deux pays.
Si la Russie propose que les gouvernements britannique et
français communiquent aux États polonais, roumain ou baltes des propositions
impliquant une collaboration avec le gouvernement ou l'état-major soviétiques,
la délégation ne devra prendre aucun engagement mais en informer les gouvernements
intéressés.
C'est d'ailleurs ce qu'elle fit.
Lors de la séance du 14 août, Vorochilov exigea des « réponses
nettes » à ses questions. « Sans une réponse précise et non équivoque, dit-il,
il serait inutile de poursuivre les conversations militaires... La Mission
militaire soviétique, ajouta-t-il, ne peut recommander à son gouvernement de
participer à une entreprise aussi manifestement vouée à l'échec. »
De Paris, le général Gamelin conseilla au général Doumenc de
tenter de détourner les Russes de ce sujet. Mais ceux-ci n'étaient pas gens à
se laisser faire (30).
Ainsi que le relata plus tard le général Doumenc, la séance du
14 août fut dramatique. Les délégués britanniques et français se trouvaient
acculés, et ils s'en rendaient parfaitement compte. Anxieux d'éluder le
problème, Drax et Doumenc affirmèrent leur conviction que les Polonais et les
Roumains réclameraient l'aide russe dès qu'ils seraient attaqués. Doumenc avait
la certitude qu'ils « imploreraient le maréchal Staline de les soutenir ». Drax
jugeait « inconcevable » qu'ils ne sollicitent pas l'assistance soviétique.
Il ajouta — pas très diplomatiquement, semble-t-il, — que «
s'ils ne demandaient pas d'aide quand la nécessité s'en imposerait et se
laissaient envahir, on pouvait s'attendre à les voir devenir des provinces
allemandes ». C'était bien la dernière chose que voulaient les Russes, car cela
signifiait la présence nazie sur la frontière soviétique, et Vorochilov fit
particulièrement état de cette malencontreuse remarque de l'amiral.
Finalement, les représentants anglo-français, très gênés,
prétendirent que Vorochilov avait soulevé des questions politiques qui
n'étaient pas de leur ressort. Drax déclara que, puisque la Pologne était un
État souverain, son gouvernement devait commencer par sanctionner l'entrée des
troupes russes sur son territoire. Mais cette question étant d'ordre politique,
il incombait aux gouvernements de la régler. Il suggéra donc que le
gouvernement soviétique interrogeât là-dessus le gouvernement polonais. La délégation
russe reconnut le caractère politique de la
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