Le Troisième Reich, T1
le
théâtre. Nous passions quotidiennement au crible une avalanche de tuyaux,
rumeurs et « révélations ». Nous notions l'état d'esprit des gens de la rue et
des fonctionnaires, chefs de parti, diplomates et militaires que nous
connaissions.
Mais ce qui se disait au cours des entretiens fréquents et
souvent orageux de l'ambassadeur Henderson avec Hitler et Ribbentrop, ce qui
s'écrivait entre Hitler et Chamberlain, Hitler et Mussolini, Hitler et Staline,
les sujets de conversation entre Ribbentrop et Molotov et entre Ribbentrop et
Ciano, le contenu de toutes les dépêches confidentielles et chiffrées qui
bourdonnaient sur les fils reliant les diplomates hésitants, harassés, aux
fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères, ainsi que tous les
mouvements que projetaient ou effectuaient les chefs militaires, tout cela, à
l'instar de l'ensemble du public, nous l'ignorions presque complètement.
Bien sûr, nous, et le grand public avec nous, étions au courant
de certains événements. Le Pacte germano-soviétique fut claironné à tous les
échos par les Allemands, bien que le protocole secret qui partageait la Pologne
et le reste de l'Europe orientale restât inconnu jusqu'après la guerre. Nous
savions qu'avant même sa signature Henderson s'était rendu en avion à Berchtesgaden pour avertir Hitler que ce traité n'empêcherait
pas la Grande-Bretagne d'honorer la garantie accordée à la Pologne.
Lorsque commença la dernière semaine d'août, nous sentîmes à
Berlin que la guerre était inévitable — à moins qu'un nouveau Munich ne se
produisît — et qu'elle surviendrait sous peu de jours. Pour le 25 août, les
derniers civils français et britanniques avaient décampé. Le lendemain, le
grand rassemblement nazi de Tannenberg, fixé au 27 août,
où Hitler devait prendre la parole, fut officiellement annulé, ainsi que le
congrès annuel du parti (le « Congrès de la Paix », comme l'avait baptisé
Hitler), qui devait avoir lieu à Nuremberg pendant la première semaine de
septembre.
Le 27 août, le gouvernement annonça que le rationnement des
produits alimentaires, du savon, des chaussures, des textiles et du charbon
entrerait en vigueur le lendemain. Cette nouvelle, plus que toutes les autres,
je m'en souviens, éveilla le peuple allemand à la conscience de l'imminence de
la guerre, et son mécontentement devint parfaitement perceptible. Le lundi 28
août, les Berlinois contemplèrent les troupes se déverser sur la ville au cours
de leur marche vers l'est. Elles étaient véhiculées dans des camions de
déménagement ou de livraison et dans tous les moyens de transport qu'on avait
pu rafler.
Ceci aussi aurait dû alerter l'homme de la rue. Le week-end, je
me le rappelle, avait été chaud et étouffant, et la plupart des Berlinois,
indifférents à l'approche de la guerre, s'étaient rendus aux lacs et aux bois
qui entourent la capitale. En revenant en ville, le dimanche soir, ils
apprirent par la radio qu'une réunion secrète et officieuse du Reichstag avait eu lieu à la Chancellerie.
Un communiqué du D.N.B, (agence officielle
allemande) annonça que le « Führer avait souligné la
gravité de la situation » — pour la première fois, Hitler révélait au public
allemand que l'heure était grave. Aucun détail de la séance ne fut communiqué,
et personne, en dehors des membres du Reichstag et de
l'entourage d'Hitler, ne pouvait savoir dans quel état d'esprit se trouvait, ce
jour-là, le dictateur nazi. Le journal d'Haider en date du
28 août fournit — beaucoup plus tard — un récit de la scène qu'il tenait d'un
membre de l' Abwehr, le colonel Oster.
Conférence à la Chancellerie du Reich à dix-sept heures
trente. Reichstag et plusieurs notabilités du parti... Situation très grave.
Résolu à résoudre d'une façon ou de l'autre la question orientale. Exigences
minima : retour de Dantzig, règlement de la question du Corridor. Exigences
maxima : « Selon la situation militaire . » Si exigences minima non
satisfaites, la guerre : brutale! Hitler sera personnellement en première
ligne. L'attitude du Duce sert au mieux nos intérêts.
La guerre très difficile, peut-être désespérée. « Aussi
longtemps que je vivrai, il ne sera pas question de capitulation. » Pacte
soviétique pour une large part incompris. Un pacte avec Satan pour chasser le
diable. Applaudissements (minces) aux passages soulignés.
Impression personnelle sur le Führer : épuisé,
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