Le Troisième Reich, T1
général de l'armée et chef reconnu des conspirateurs? Selon
Gisevius, Beck adressa une lettre au général von Brauchitsch, mais le
commandant en chef de l'armée n'en accusa même pas réception. Ensuite, toujours
d'après Gisevius, il eut un long entretien avec Halder, qui admit avec lui
qu'une guerre généralisée serait la ruine de l'Allemagne, mais, pensait-il : «
Jamais Hitler ne permettra une guerre mondiale » et il n'y avait, par
conséquent, aucune raison de le renverser pour l'instant (19).
Le 14 août, Hassell dîna en tête-à-tête avec Beck et nota dans
son journal leur commun sentiment d'impuissance :
Beck (est) un homme très cultivé, séduisant et intelligent.
Malheureusement il n'a pas les chefs de l'armée en grande estime. C'est
pourquoi il n'est pas arrivé à voir où nous pourrions y prendre pied. Il est
fermement convaincu de la nocivité des méthodes du Troisième Reich (20).
Les convictions de Beck — et de son entourage — étaient nobles
et élevées, mais, alors qu'Hitler s'apprêtait à précipiter l'Allemagne dans la
guerre, aucun de ces honorables Allemands ne leva le petit doigt pour l'en
empêcher. La tâche était évidemment difficile et peut-être, à cette heure
tardive, irréalisable. Mais ils ne s'y essayèrent même pas.
Le général Thomas, lui, fit peut-être une tentative. A la suite
du mémorandum qu'il rédigea à l'intention de Keitel et dont il fit
personnellement la lecture au chef de l'O.K.W., vers la mi-août, il retourna
voir son supérieur le dimanche 27 août et, pour reprendre ses propres termes, «
lui tendit la preuve statistique avec graphiques à l'appui... qui démontrait
clairement la redoutable supériorité militaire et économique des Puissances
occidentales et les épreuves que nous devrions affronter ». Keitel, avec un
courage inaccoutumé, montra le document à Hitler, qui rétorqua qu'il ne
partageait pas l' « anxiété (du général Thomas) devant le danger d'une guerre
mondiale maintenant qu'il avait l'Union Soviétique dans son camp (21) ».
Ainsi prirent fin les tentatives des « conspirateurs » pour
empêcher Hitler de déclencher la deuxième guerre mondiale, si l'on excepte les
vains efforts accomplis en dernière minute par le docteur Schacht, efforts
considérablement grossis par ce fin renard lorsqu'il assuma sa propre défense
devant les juges de Nuremberg. A son retour de l'Inde, au mois d'août, il
écrivit des lettres à Hitler, Gœring et Ribbentrop — à ce moment fatal, aucun
des chefs de l'opposition ne semble avoir dépassé le stade des lettres et
mémorandums, — mais, « à sa très grande surprise », comme il le dit plus tard,
il ne reçut aucune réponse.
Il décida ensuite de se rendre à Zossen, localité située à
quelques kilomètres au sud de Berlin, où le commandement suprême de l'armée
avait installé son quartier général pour la campagne de Pologne, afin d'y
rencontrer personnellement le général von Brauchitsch. Qu'avait-il donc à lui
dire? A la barre des témoins, à Nuremberg, Schacht expliqua qu'il avait eu
l'intention d'avertir le chef de l'armée qu'entrer en guerre sans l'approbation
du Reichstag serait inconstitutionnel! Or, le commandant en chef de l'armée se
devait de respecter son serment à la constitution!
Hélas! Le docteur Schacht n'alla jamais trouver Brauchitsch. Il
fut averti par Canaris que, s'il se présentait à Zossen, le commandant en chef
de l'armée « les ferait tous arrêter immédiatement », sort qui ne paraissait
guère attirer cet ancien partisan d'Hitler (22). Mais la véritable raison qui
empêcha Schacht d'accomplir à Zossen son étrange mission (c'eût été pour Hitler
un jeu d'enfant que d'obtenir le cachet du Reichstag pour sa guerre, en
admettant qu'il eût voulu s'encombrer de cette formalité), c'est Gisevius qui
la donna lorsqu'il fut cité comme témoin à décharge devant le tribunal de
Nuremberg. Schacht, d'après lui, aurait projeté de se rendre à Zossen le 25
août et annulé son voyage le soir même où Hitler annula l'attaque contre la
Pologne fixée au lendemain. Trois jours plus tard, Schacht aurait à nouveau
décidé d'aller à Zossen, mais Canaris l'avertit qu'il était trop tard (23). Ce
n'était pas que les conspirateurs aient manqué le coche; ils n'étaient jamais
arrivés à l'arrêt pour tenter de l'attraper.
Si la poignée d'Allemands antinazis fut impuissante à retenir le
bras d'Hitler, les dirigeants du monde neutre avec
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