Le Troisième Reich, T1
armée nationale allemande sera formée immédiatement... Jusqu'à ce
que les comptes soient définitivement réglés avec les criminels de novembre, je
propose que, dans le gouvernement national, la direction de la police me soit confiée. Ludendorff prendra le commandement de l'armée nationale
allemande... La tâche du gouvernement national allemand provisoire est d'organiser la marche sur cette Babel du péché qu'est Berlin et de sauver le peuple allemand. Demain verra en Allemagne ou bien un
gouvernement national, ou bien nos cadavres! »
Ce n'était ni la première ni la dernière fois qu'Hitler, grâce à
un mensonge magistral, emportait la décision. Lorsque l'assistance l'entendit
affirmer que Kahr, le général von Lossow Seisser, le chef de la police,
s'étaient joints à lui, son humeur changea brusquement. Des applaudissements
nourris éclatèrent assez forts pour impressionner les trois hommes toujours
enfermés dans la petite salle voisine.
Ce fut alors que Scheubner-Richter fit surgir le général Luden dorff, tout à fait comme un prestidigitateur, de son
haut-de-forme, tire un lapin blanc. Le héros était furieux qu'Hitler l'eût joué
façon aussi inopinée. Quand il apprit, dans la pièce attenante, que l'ancien
caporal, et non lui, le général Ludendorff, serait dictateur de l'Allemagne, sa
rancœur s'accrut encore, à telle enseigne qu'il n'adressa pratiquement plus la
parole au jeune audacieux. Mais Hitler ne s'en souciait guère, du moment que
Ludendorff prêtait son grand nom à une entreprise aussi hasardeuse et qu'il lui
gagnait la collaboration des trois chefs bavarois jusqu'alors récalcitrants à
ses exhortations comme à ses menaces.
Cela, Ludendorff se mit en devoir de l'accomplir. Il représenta
à Kahr, Lossow et Seisser qu'il s'agissait maintenant d'une grande cause
nationale et il leur conseilla d'y concourir. Très frappés de l'attention que
le généralissime accordait à Hitler, les trois hommes parurent s'incliner,
encore que Lossow ait nié plus tard avoir accepté de se placer sous les ordres
de Ludendorff. Pendant quelques minutes, Kahr discutailla en faveur de la restauration, qui lui était si chère, de la monarchie
Wittelsbach. Il dit enfin qu'il collaborerait avec le « représentant du roi ».
L'opportune arrivée de Ludendorff avait sauvé Hitler. Il ramena
les dirigeants sur l'estrade, où ils prononcèrent chacun quelques paroles,
jurant qu'ils seraient fidèles les uns aux autres, ainsi qu'au régime nouveau.
L'assistance, délirant d'enthousiasme, bondit sur les chaises et sur les
tables. Hitler rayonnait de joie. « Il avait une expression de bonheur
enfantine, franche, que je n'oublierai jamais », a déclaré par la suite un
historien éminent, présent sur les lieux (9).
Remonté à la tribune, Hitler adressa pour finir quelques mots à
l'assemblée :
Je veux désormais accomplir le vœu que j'ai formé, voilà
cinq ans, alors que j'étais un infirme, un aveugle, à l'hôpital militaire : ne
connaître ni repos, ni paix jusqu'à ce que soient jetés à bas les criminels de
novembre, jusqu'à ce que, sur les ruines de la misérable Allemagne
d'aujourd'hui, se relève une Allemagne puissante, grande, libre et splendide.
L'assistance commença à se disperser. Aux issues, Hess et les
hommes des S.A. retinrent plusieurs membres du cabinet bavarois et d'autres
notables, qui tentaient de se glisser au-dehors parmi la foule. Hitler
surveillait de l'œil Kahr, Lossow et Seisser. Survint alors la nouvelle d'une
échauffourée qui s'était produite entre des troupes d'assaut d'une des ligues
de combat, le Bund Oberland, et des soldats de l'armée régulière. Hitler voulut
se rendre sur les lieux, la caserne du génie, afin de le régler lui-même, et il
confia la brasserie aux soins de Ludendorff.
Erreur fatale : Lossow fut le premier à s'échapper, disant à
Ludendorff qu'il lui fallait se hâter de regagner son bureau à l'état-major, pour
y donner les ordres nécessaires. Aux protestations élevées par
Scheubner-Richter, Ludendorff répliqua sèchement : « Je vous interdis de mettre
en doute la parole d'un officier allemand. » Kahr et Seisser, eux aussi, firent
en sorte de disparaître.
Hitler, toujours très satisfait, revint à la brasserie pour
apprendre que ses oiseaux s'étaient envolés. Ce premier échec de la soirée lui
fut très pénible. Plein de confiance, il s'attendait à trouver ses « ministres
» penchés sur leurs nouvelles
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