Le Troisième Reich, T1
ne
puis le permettre. »
L'accusé ne fit aucun cas de cet avertissement. Dans une
péroraison qui tint l'auditoire suspendu à ses lèvres, il conclut :
L'armée que nous avons formée croît de jour en jour...
J'espère avec fierté que sonnera l'heure où ces rudes compagnies deviendront
des bataillons, les bataillons des régiments, les régiments des divisions; où
la vieille cocarde sera relevée de la boue; où les vieux drapeaux flotteront de
nouveau; où une réconciliation naîtra devant le grand jugement dernier que nous
sommes préparés à affronter.
Tournant son regard brûlant droit sur ses juges, il ajouta :
Car ce n'est pas vous, messieurs, qui prononcez notre
sentence. Ce jugement est exprimé par le tribunal éternel de l'histoire. Je
sais ce que sera le vôtre. Mais le tribunal dont je parle ne nous demandera pas
« Avez-vous, oui ou non, commis un acte de haute trahison? » Ce tribunal nous
jugera, le quartier-maître général de la vieille armée (Ludendorff) et nous,
ses officiers et ses soldats, comme des Allemands qui n'ont voulu que le bien
de leur peuple et de leur patrie, qui n'ont voulu que combattre et mourir.
Libre à vous de nous déclarer coupables mille fois; mais la déesse du tribunal
éternel de l'histoire sourira et déchirera en petits morceaux le réquisitoire
de votre procureur avec l'arrêt que vous prononcerez. Car elle nous acquitte
(10).
Comme l'écrivit Konrad Heiden, les
sentences des juges, sinon leurs verdicts, ne furent pas tellement différentes
de ce jugement de l'histoire. Ludendorff fut acquitté. Hitler et les autres
accusés furent déclarés coupables. Mais, au défi de la loi (article 81 du Code
pénal allemand), qui édictait que « quiconque tente de modifier par la force la
Constitution du Reich ou de tout autre État allemand sera
frappé d'emprisonnement à perpétuité », Hitler fut seulement condamné à cinq
ans de détention à la vieille forteresse de Landsberg. Les
juges civils n'en protestèrent pas moins contre la sévérité de la sentence;
aussi le président les assura-t-il que le prisonnier pourrait être libéré sur
parole au bout de six mois.
Les efforts de la police à l'effet de faire expulser Hitler
comme étranger (il était encore de nationalité autrichienne) furent totalement
infructueux. Les sentences furent prononcées le 1er avril 1924. Un peu moins de
neuf mois plus tard, le 20 décembre, Hitler fut relâché et libre de reprendre
sa lutte pour le renversement de l'État démocratique. Les conséquences
encourues par le crime de haute trahison commis par un homme d'extrême-droite
n'étaient donc pas excessivement lourdes, en dépit de la loi, et de nombreux
adversaires de la République ne manquèrent pas de s'en souvenir.
Le putsch, encore qu'il eût fait fiasco, transforma Hitler en
figure nationale et, aux yeux de beaucoup d'Allemands, en patriote héroïque. La
propagande nazie en fit une des grandes légendes du mouvement. Chaque année,
même après qu'il eut pris le pouvoir, même après que la deuxième guerre
mondiale eut éclaté, Hitler retournait le soir du 8 novembre à la brasserie
munichoise pour y parler à ses camarades de la vieille garde — les alte Kämpfer , comme on les appelait — survivants de cette
expédition qui, à l'époque, avait eu tous les aspects d'une lamentable défaite.
En 1935, Hitler, Chancelier, fit exhumer les corps des seize nazis tombés au
cours de cette escarmouche et leur donna des sépultures à l'intérieur de la Feldherrnhalle, qui devint un sanctuaire national. Lors de
l'inauguration, il proclama : « Ils entrent maintenant dans l'immortalité
allemande. Ils veillent sur notre pays et sur notre peuple. Ils reposent ici en
témoins véridiques de notre mouvement. » Il n'ajouta pas, et nul Allemand ne
parut s'en souvenir qu'ils étaient aussi les hommes abandonnés par lui à leur
mort lorsqu'il s'était relevé du pavé sanglant pour s'enfuir.
L'été de cette année 1924, dans la vieille forteresse de
Landberg, qui domine de haut le cours de la Lech, Adolf Hitler, traité en hôte
d'honneur et pourvu d'une chambre particulière avec une vue splendide, cessa de
recevoir les visiteurs qui affluaient pour lui rendre hommage et lui apporter des
présents, convoqua le fidèle Rudolf Hess (finalement revenu à Munich et
condamné) et commença de lui dicter les chapitres successifs d'un livre [26] .
4 -
LA PENSÉE D'HITLER ET
LES RACINES DU TROISIÈME REICH
Hitler
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