Le Troisième Reich, T1

voulait
intituler son livre Quatre Ans et Demi de Combat contre le Mensonge, la
Stupidité et la Lâcheté . Mais Max Amann, directeur des publications nazies
et esprit positif s'opposa au choix d'un titre aussi pesant (et aussi peu «
commercial »). Il l'abrégea donc en celui de Mon Combat ( Mein Kampf ).
En prenant connaissance du manuscrit, Amann éprouva une vive déception, car il
espérait un récit personnel et vivant, où Hitler aurait raconté comment, de «
petit ouvrier inconnu » à Vienne, il était devenu un chef célèbre dans le monde
entier. Or, l'ouvrage est à peine biographique. Amann comptait également y
trouver une version inédite du putsch de la brasserie munichoise, dont les
circonstances dramatiques et l'ambiance de duperie auraient intéressé le
public. Mais Hitler eut l'intelligence de ne pas remuer des cendres refroidies,
alors que la fortune du parti était au plus bas [27] .
Le putsch manqué est à peine effleuré dans Mein Kampf .
    Le premier volume fut publié en automne 1925. Il contenait
400 pages environ et coûtait 12 marks (3 dollars), c'est-à-dire à peu près le
double du prix moyen des livres édités à l'époque en Allemagne. Ce fut loin
d'être tout de suite un succès de librairie. Amann assura que les ventes
atteignirent 23 000 exemplaires dans la première année et qu'elles continuèrent
à monter; les milieux anti-nazis accueillaient cette prétention avec
scepticisme.
    Grâce à la saisie par les Alliés, en 1946, des relevés de droits
d'auteur établis par Eher Verlag, maison des éditions nazies, on peut
maintenant connaître en détail les comptes de Mein Kampf . En 1925, la
vente fut de 9 473 exemplaires et elle diminua trois années durant, tombant à 6
913 en 1926, 5 607 en 1927 et 3 015 en 1928, pour les deux volumes. Après une
légère reprise (7 664) en 1929, elles se relevèrent avec la fortune du Parti nazi
en 1930 (année où parut une édition à bon marché à 8 marks); la vente fut alors
de 54 086, diminua légèrement (50 808) en 1931 et rebondit à 90 351 en 1932.
    Les droits d'auteur perçus par Hitler, sa principale source de
revenus à partir de 1925, furent considérables si l'on prend leur moyenne pour
ces sept premières années; mais ce n'était rien par comparaison avec ceux de
1933, celle où il devint Chancelier. Pendant ses premiers douze mois de
fonctions, Mein Kampf se vendit à un million d'exemplaires, et les
droits de Hitler (élevés de 10 à 15 % à partir du 1er janvier 1933) dépassèrent
un million de marks, ce qui fit de lui l'auteur le mieux payé d'Allemagne pour
la première fois, un millionnaire [28] .
    La Bible exceptée, aucun livre ne se vendit aussi bien durant le
régime nazi, époque à laquelle il n'était guère prudent pour un foyer de ne pas
en avoir un exemplaire sur la table familiale. Il était à peu près obligatoire,
et certainement adroit, de l'offrir en cadeau de mariage ; presque tout écolier
le recevait à la fin de ses études, quel que fût l'établissement. En 1940, un
an après le début de la guerre, 6 millions d'exemplaires avaient été vendus en
Allemagne (1).
    Cependant, tout exemplaire de Mein Kampf n'était pas
nécessairement lu par son acheteur. J'ai entendu plus d'un nazi plaindre que ce
fût un livre ardu, et plusieurs m'avouèrent (en particulier) qu'ils n'avaient
jamais pu arriver au bout de ses 782 brumeuses pages. Mais on pourrait bien
répliquer que, si plus d'Allemands non nazis l'avaient lu avant 1933 et si les
hommes d'État de partout l'avaient analysé avec plus d'attention alors qu'il en
était temps encore, tant l'Allemagne que le monde auraient pu échapper à la
catastrophe. En effet, quelles que soient les autres accusations qu'il y ait lieu
de porter contre Adolf Hitler, nul ne saurait lui reprocher de ne pas avoir
exactement couché par écrit le genre d'Allemagne qu'il entendait créer si
jamais il prenait le pouvoir, et le genre de monde qu'il envisageait de bâtir
quand il l'aurait fait militairement conquérir par cette Allemagne. Le plan
réservé au Troisième Reich et, qui plus est, celui du barbare Ordre nouveau
qu'il imposa à l'Europe écrasée pendant ses années triomphales de 1939 à 1945,
est exposé avec cynisme en long, en large et en détail dans les pages de ce
livre qui ne cache rien.
    Ainsi que nous l'avons vu, Hitler avait formé ses idées de base
à Vienne, alors qu'il n'avait guère plus de vingt ans; il a dit lui-même qu'il
apprit peu de