Le Troisième Reich, T1
ce fut sur le Troisième Reich, qui ne fut instauré
que six ans après sa mort, mais dont il prévit la venue, que l'influence de cet
Anglais s'exerça le plus fortement. Ses théories racistes et son sens ardent de
la destinée des Allemands et de l'Allemagne furent repris par les nazis, qui
l'acclamèrent comme un de leurs prophètes. Durant le régime hitlérien, les
presses répandirent à foison des livres, des brochures et des articles
célébrant le « fondateur spirituel » de l'Allemagne nationale-socialiste.
Rosenberg, un des mentors d'Hitler, s'efforça souvent de lui
communiquer l'enthousiasme qu'il éprouvait à l'endroit de Chamberlain. Il est
probable que le Führer eut connaissance de ses écrits avant de quitter Vienne,
car ils étaient répandus et appréciés dans les groupes pangermanistes et
antisémites, dont il dévorait les élucubrations lors de cette période ancienne.
Sans doute aussi lut-il des articles chauvins de Chamberlain pendant la guerre.
Dans Mein Kampf , il exprime le regret que les observations de l'écrivain
n'aient pas été mieux écoutées au cours du Deuxième Reich.
Chamberlain fut un des premiers intellectuels qui, en Allemagne,
prévirent un grand avenir pour Hitler et de nouvelles chances de succès pour
les Allemands, s'ils le suivaient. Hitler avait fait sa connaissance à Bayreuth
en 1923; quoique malade, à demi paralysé, déçu par la défaite et par la chute
des Hohenzollern — écroulement de tous ses espoirs et de toutes ses prophéties!
— l'écrivain se sentit soulevé par l'éloquence du jeune Autrichien. Dès le
lendemain de leur rencontre, il lui écrivit : « De hautes tâches vous
attendent... Ma confiance dans le germanisme n'a pas été ébranlée un seul
instant, quoique mon espérance, je l'avoue, soit descendue assez bas. D'un
coup, vous avez changé mon état d'âme. L'Allemagne, en donnant naissance à un
Hitler au temps de sa plus grande détresse, fait preuve de sa vitalité ; il en
est de même pour les force d'influences qu'on sent émaner de lui; ces deux
choses, en effet la personnalité et l'influence, vont de pair... Dieu vous
protège! »
Cette lettre date du moment où Adolf Hitler, avec sa moustache à
la Charlie Chaplin, ses façons de voyou, son extrémisme violent et hors de
saison, n'éveillait encore chez les Allemands que des accès de fou rire. Sans
doute avait-il déjà des partisans; toujours est-il que le magnétisme de sa
personnalité agit à la manière d'un charme sur le philosophe vieillissant et
malade et rajeunit la foi qu'il nourrissait dans le peuple auquel il avait
voulu s'intégrer et qu'il voulait voir aux plus hauts sommets.
Chamberlain s'affilia donc au jeune Parti nazi et commença
d'écrire pour ses obscures publications, dans la mesure où sa santé le lui
permettait. Dans un de ses articles, qui parut en 1924, il salua Hitler comme
l'homme destiné par Dieu à conduire et diriger le peuple allemand. Le destin
avait fait signe à Guillaume II, mais celui-ci avait échoué; c'était dès lors
le tour d'Hitler. Le 5 septembre 1925, le soixante-dixième anniversaire du
remarquable écrivain anglais fut célébré en cinq colonnes d'éloges par le
journal nazi Völkischer Beobachter , qui
qualifia ses Fondements d'« évangile du Mouvement Nazi ». Chamberlain
descendit dans sa tombe six mois plus tard, le 11 janvier 1927, espérant
fermement que tous ses enseignements et toutes ses prévisions se réaliseraient
sous la divine égide du nouveau Messie allemand.
A l'exception d'un prince représentant Guillaume II, à qui le
retour sur le sol national était interdit, Hitler fut la seule personnalité
publique à assister aux obsèques de Chamberlain. Annonçant sa mort, le Völkischer Beobachter déclara que le
peuple allemand venait de perdre « un des grands paladins dont les armes n'ont
pas été utilisées à notre époque à toute leur valeur ». Ni ce moribond à demi
paralysé, ni même Hitler, ni personne d'autre en Allemagne n'aurait jamais
prévu, en ce sombre mois de janvier 1927, alors que la fortune du Parti nazi
était au plus bas, que dans un avenir très proche les armes forgées par
l'Anglais transfuge de son pays allaient servir avec toute leur force et avec
d'effroyables conséquences (27).
Hitler n'en avait pas moins le sens mystique de la mission qui
lui était personnellement dévolue sur la Terre, dès cette époque et même
auparavant. « Parmi des millions d'hommes, doit se
Weitere Kostenlose Bücher